Colombes : Quibe, artiste célèbre dans le monde entier grâce à… des dessins contrefaits !

Son œuvre « Close » est reproduite en masse sur des tee-shirts, des mugs, des coques de téléphones ou des coussins, vendus notamment sur les sites du chinois Alibaba. Sans son autorisation et sans que Christophe Louis ne touche un centime.

 Colombes. L’illustrateur Quibe, de son vrai nom Christophe Louis, est victime de plagiat et de contrefaçons massives, notamment de son œuvre aux deux visages entrelacés « Close ». Il pose ici chez lui avec un original.
Colombes. L’illustrateur Quibe, de son vrai nom Christophe Louis, est victime de plagiat et de contrefaçons massives, notamment de son œuvre aux deux visages entrelacés « Close ». Il pose ici chez lui avec un original. LP/A.D.

    Deux visages qui s'entrelacent, tracés d'un unique trait noir. Son dessin « Close » fait le tour du monde, reproduit à des centaines de milliers d'exemplaires sur des mugs, tee-shirts, tapis, coussins ou coques de téléphone. Mais pour l'artiste de Colombes Quibe, de son vrai nom Christophe Louis, ce succès planétaire a un goût amer.

    Tous ces objets, vendus sur des sites d'e-commerce tels qu'AliExpress, sont en fait des contrefaçons. L'oeuvre de Quibe est pillée, plagiée et vendue en masse sans que l'illustrateur ne soit consulté. Et sans qu'il ne touche un centime.

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    Le cauchemar a démarré en 2015. « Une amie m'a appelé pour me dire'Tu es célèbre, tu passes à la télé ! Une présentatrice porte ton tee-shirt'», se souvient Christophe Louis, qui… n'a jamais illustré de tee-shirt. L'artiste l'ignore encore mais son dessin « Close » est en train de devenir un best-seller en Asie. « Naïvement, je l'avais partagé sur mon blog et sur ma page Facebook pour que les gens le voient, explique l'artiste. Je n'étais pas à l'époque dans la perspective d'une carrière ou d'une monétisation. »

    Son dessin édité en Corée, en Turquie, au Canada…

    Pour autant, même partagée sur les réseaux sociaux, son œuvre est protégée. « Toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi est un délit de contrefaçon », indique l'article L335-3 du Code de la Propriété Intellectuelle.

    Ici, une copie version sac. /DR
    Ici, une copie version sac. /DR LP/A.D.

    Christophe Louis prouve qu'il possède le fichier initial du dessin, précisément horodaté par son ordinateur, et la marque connue de vêtements français qui habillait la présentatrice TV s'incline. « En dix mois, c'était réglé », se félicite-t-il. Mais ce n'est que le début de ses ennuis. La face émergée du plagiat.

    Alors que la carrière de l'artiste minimaliste décolle, la contrefaçon prend elle aussi de l'ampleur. « Je vendais de plus en plus d'impressions sur des sites comme Society6.com, curioas.com, juinqe.com... et en 2017, j'arrête mes autres activités pour devenir illustrateur à plein temps, retrace l'habitant de Colombes. Je travaillais pour l'édition avec les éditions Penguin, pour la publicité avec Mont Blanc, British Airways, Freetomove… C'est alors que j'ai découvert un blouson 'Close' en Corée, des robes en Turquie. Puis j'en ai vu apparaître mon dessin au Canada, aux Etats-Unis et même dans un cadre Ikea en Allemagne. J'ouvre alors la boîte de Pandore : AliExpress. »

    « Pour un lien supprimé, deux autres arrivent »

    Cette plateforme de vente aux particuliers fait partie du groupe Alibaba, le mastodonte du e-commerce chinois. « Je découvre qu'en Asie mon dessin est partout : sur des vêtements, des objets de décoration, des coques de téléphones… Les sites Aliexpress, Alibaba, Teamall, Taobao alimentent des petites boutiques partout dans le monde. Ça se multiplie. C'est comme si mon dessin était dans le domaine public. » Sauf qu'il ne l'est pas.

    Sur son téléphone portable ou dans le bureau de sa maison de Colombes, Christophe Louis stocke des milliers de copies écran de ces objets contrefaits. Il signale les liens un par un. Un travail obsessionnel, fastidieux et… improductif. « Alibaba les supprime, note l'artiste. Mais pour un lien supprimé, deux autres arrivent. Le site n'est que dans la réaction. Malgré plus de 1 000 plaintes et une application de reconnaissance visuelle, il n'est pas proactif. Pendant ce temps, les vendeurs écoulent la marchandise… »

    Contacté, Alibaba affirme prendre « très au sérieux la protection des droits de propriété intellectuelle » et rappelle qu'il a « immédiatement agi pour retirer les pages suspectes et pour prévenir de futures infractions ». Le géant du e-commerce assure sensibiliser, dans son « Centre des vendeurs », au « respect de la propriété intellectuelle de Quibe » et opérer un « filtrage de ces contenus protégés sur les plateformes Alibaba.com ».

    « TOUS LES DESSINS SONT PROTÉGÉS AU TITRE DU DROIT D'AUTEUR »

    Me Juliette Disser est l’avocate de Quibe. DR.
    Me Juliette Disser est l’avocate de Quibe. DR. LP/A.D.

    Me Juliette Disser, avocate spécialisée dans la propriété intellectuelle, défend Christophe Louis. Elle nous explique les difficultés à faire appliquer le respect de la propriété intellectuelle.

    Les œuvres artistiques ne sont-elles pas, en France, systématiquement protégées par la loi ?

    Si. Tous les dessins sont protégés au titre du droit d'auteur. Christophe Louis a, en outre, déposé « Close » en tant que marque devant l'EUIPO, l'office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle. Dès lors qu'une œuvre est soumise à protection (marque ou droits d'auteur), elle ne peut être reproduite sans l'autorisation du titulaire du droit. Le plus souvent, cela prend la forme d'une licence.

    A partir de quand est-ce du plagiat ?

    Il faut que l'impression d'ensemble soit similaire. Dans le cas de Christophe Louis, la plupart du temps, son œuvre est reproduite à l'identique. Parfois, elle est légèrement modifiée. On compare les œuvres et on les soumet à l'appréciation du juge. Il faut aller en justice dans le pays du contrefaisant, ce qui complexifie la procédure.

    Pourquoi est-ce plus difficile avec les plates-formes d'e-commerce ?

    Parce qu'elles estiment être « hébergeur », que leur rôle n'est que celui d'un intermédiaire, à la responsabilité limitée, entre un vendeur et des acheteurs. A ce titre, elles ont pour seule obligation de réagir promptement lorsqu'une contrefaçon leur est signalée. Un commerçant qui vend en direct, un « éditeur », a une responsabilité plus grande. La question est de savoir dans quelle mesure ces plate-formes peuvent avoir le statut d'éditeur.