Mouvements de protestation dans le monde : «Les peuples ne se laissent plus faire»

Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), constate qu’aucun continent n’échappe aux mouvements de contestation.

 Des centaines de milliers de manifestants se mobilisent depuis cinq jours dans toutes les régions du Liban contre le régime en place.
Des centaines de milliers de manifestants se mobilisent depuis cinq jours dans toutes les régions du Liban contre le régime en place. Reuters/Mohamed Azakir

    Hongkong, Liban, Chili, Catalogne… Autant de zones de tension où des citoyens manifestent, que ce soit pour lutter contre la vie chère ou pour une raison purement politique, comme vouloir plus de démocratie.

    Le spécialiste de géopolitique Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), estime notamment que les peuples ont appris à se révolter dans un contexte de désorganisation mondiale de plus en plus affirmé.

    Qu'ont de commun ces conflits ?

    DIDIER BILLION. Il y a incontestablement une accélération et une multiplication des conflits sociaux, ne serait-ce qu'au Moyen-Orient. Au Soudan, en Irak, en Égypte, resurgissent des mouvements de contestation qu'avait déjà connue la région en 2011-2012 (NDLR : durant les « Printemps arabes »). Les déclencheurs sont cette fois très différents entre eux, mais on peut les classer en deux catégories : purement social, et politique. Ces deux motifs finissent parfois par se rejoindre. Mais on ne peut pas parler de traînée de poudre, comme en 2011-2012 justement, car les raisons à l'origine des révoltes sont assez différentes.

    Quelles leçons en tirez-vous ?

    D'abord, que les peuples sont devenus majeurs, qu'ils veulent faire respecter leurs droits, et qu'ils ne se laissent plus faire face à des pouvoirs dont ils se méfient de plus en plus. On s'aperçoit ensuite que souvent, personne - ni partis ni figures - ne parvient à incarner et prendre la tête des mouvements. Où sont ainsi les leaders qui émergent de la contestation née à la fin de l'hiver en Algérie ?

    Comment imaginez-vous l'avenir dans ces zones de tension ?

    Dans certains cas, les partis constitués vont probablement finir par récupérer la mise. Mais rien ne dit que les manifestants obtiendront des victoires éclatantes partout, car la répression reste brutale dans certains pays. Mais la colère pourrait resurgir plus tard dans la rue, comme cela se produit aujourd'hui dans le monde arabe. Certains expliquaient qu'après les « Printemps arabes », il y avait eu un « hiver islamiste » (NDLR : l'arrivée au pouvoir de dirigeants islamistes). En réalité, la séquence ouverte lors des « Printemps arabes » en 2011 ne s'est jamais refermée.

    Peut-on tout de même parler d'une « contagion » de la révolte ?

    Aucun continent n'échappe à ces mouvements de contestation. Déjà, en 1968, il y avait eu des conflits en Europe occidentale, en Europe centrale, et au Viêt Nam. Je suis persuadé que la révolte en Tchécoslovaquie d'août 1968 a été attentive à ce qui s'était passé en France en mai, trois mois plus tôt. Mais aujourd'hui, avec la vitesse de circulation de l'information, avec la diffusion de photos iconiques, ça donne des idées. Tout va beaucoup plus vite et on assiste à une mondialisation de la révolte.

    A-t-on, aujourd'hui, une vision différente de ces conflits ?

    Oui, car ce qui structurait la planète, notamment l'hyperpuissance américaine, n'existe plus. Depuis une quinzaine ou une vingtaine d'années, il y a un sentiment croissant de chaos et de désorganisation à l'échelle mondiale. Les Occidentaux ne sont plus en mesure de faire la pluie et le beau temps et d'imposer leur ordre. En plus, avec ses déclarations intempestives et ses tweets, Trump ajoute à l'incohérence.