TRIBUNE

Pollutions : plus jamais cobayes !

Partie de Fos-sur-Mer le 1er mai, la «marche des cobayes» vient d'arriver à Paris. L'initiative, destinée à alerter les pouvoirs publics, a permis de dresser un constat, certes ancien, mais néanmoins alarmant : l'environnement des Français est toxique.

publié le 11 juillet 2018 à 8h48
Chargement...

Après plus de 1 100 kilomètres, la marche des cobayes est enfin arrivée à Paris. Partie le 1er mai de Fos-sur-Mer, ville reconnue comme l'un des sites les plus pollués d'Europe, cette initiative portée par plus de cent associations et des dizaines de personnalités scientifiques, politiques et issues de la société civile a dénoncé toutes les formes de pollution. Que ce soit la malbouffe, la pollution de l'air, de l'eau, le nucléaire, les pesticides, les perturbateurs endocriniens, l'intoxication des salariés au travail, les effets secondaires des médicaments, des nanoparticules, des centaines de «cobayes» ont marché pour dénoncer un environnement de plus en plus pollué. Aujourd'hui, dans le monde, un humain sur six meurt prématurément en raison des pollutions selon l'OMS.

Urgence environnementale

Cette marche a été un formidable cri d'alerte destiné aux pouvoirs publics, qu'ils se situent au niveau national ou européen – la marche s'est d'ailleurs rendue à Bruxelles et à Strasbourg pour deux étapes supplémentaires destinées à sensibiliser les instances européennes. Car aujourd'hui, les politiques menées en matière de santé environnementale ne sont clairement pas à la hauteur des enjeux. Nos gouvernants rechignent à s'attaquer aux lobbys tout-puissants des industriels, quitte à mettre en danger la santé de nos concitoyens. Quelle n'a pas été notre surprise de voir, dernièrement, la ministre de la santé Agnès Buzyn refuser de créer un fonds d'indemnisation pour les victimes des pesticides, ou les parlementaires LREM ne pas inscrire dans la loi l'interdiction du glyphosate sous trois ans. L'urgence est là, pourtant : 400 000 nouveaux cas de cancer se déclarent chaque année, dont 5 à 10 % minimum sont liés à des facteurs environnementaux. D'ici 2025, 100 000 personnes seront décédées des suites du scandale de l'amiante. Tous les ans, 48 000 meurent prématurément en raison de la mauvaise qualité de l'air, qui raccourcit l'espérance de vie de six mois. 10 000 à 20 000 succombent à cause des effets secondaires des médicaments, beaucoup plus que les accidentés de la route.

Chargement...

Tout au long de notre marche et de ses soixante étapes thématiques, nous avons pu constater que les Français vivent dans un environnement que nous qualifierons sans hésitation de toxique. Outre toutes les victimes, les lanceurs d’alerte qu’il nous a été donné de rencontrer, la pollution industrielle à Fos-sur-Mer (qui provoque deux fois plus de cancers que la moyenne nationale), le rejet des boues rouges à Gardanne par l’usine Alteo, l’air presque vicié de la vallée de l’Arve, les réacteurs nucléaires du Bugey, de Belleville-sur-Loire, les fumées de l’incinérateur d’Ivry, aux portes de la capitale, se sont dressés sur notre route comme autant d’oiseaux de mauvais augure. Notre France tousse, suffoque, est malade de ses pollutions, des agissements coupables des industriels et de l’indifférence complice du gouvernement.

A lire aussi Tribune Ecologie : pourquoi les lobbys gagnent-ils toujours à la fin ?

Des mesures impératives

Chargement...

Heureusement, tout espoir n’est pas perdu et nous avons pu constater que notre pays est riche de citoyens décidés à ne pas se laisser empoisonner et intoxiquer. Ces citoyens-marcheurs nous ont fait part de leurs revendications. Fort de leur soutien, nous réclamons avec eux aujourd’hui plusieurs mesures de salut public :

• La reconnaissance par l’Etat du crime industriel. Il est impératif d’inscrire dans le Code pénal cette disposition pour qu’une personne morale ou physique puisse être condamnée si elle porte atteinte à la santé de nos concitoyens ou à notre environnement. Aujourd’hui par exemple, plus de 90 % des habitants de Guadeloupe et de Martinique sont intoxiqués par le chlordécone, cet insecticide ultra-toxique qui a été déclaré cancérigène par l’OMS dès 1979 mais qui n’a été interdit dans les Antilles qu’à partir de 1993. Il serait impensable que les industriels ayant commercialisé le chlordécone ne soient pas condamnés, et l’Etat jugé pour cette négligence teintée de néocolonialisme.

Chargement...

• L’inversion de la charge de la preuve. Nous militons pour que désormais, ce ne soit plus aux consommateurs de démontrer qu’un produit est dangereux pour la santé mais aux industriels de prouver que les produits qu’ils mettent sur le marché sont sans risques pour nos concitoyens.

• Une justice indépendante en matière de santé environnementale. Trop souvent, les responsables des scandales sanitaires sont condamnés à des peines vénielles au regard de l’ampleur de la faute qu’ils ont commise. C’est le cas dans l’affaire de l’amiante, où un procès pénal pourrait ne pas avoir lieu, si la Cour de cassation confirme à l’automne l’annulation de toutes les mises en examen.

Chargement...

• Une recherche qui va de pair. La recherche actuelle en matière de santé environnementale demeure très largement sous la coupe des lobbies, industriels ou pharmaceutiques. L’affaire des «Monsanto papers» a récemment montré comment les grands industriels pouvaient organiser la désinformation autour d’un produit qu’ils savent pourtant toxique, en l’occurrence le glyphosate. Nous demandons la création de trois centres de recherche en santé environnementale (Paris, Marseille, Bordeaux), qui permettraient de faire la lumière de manière indépendante sur les causes des différentes pollutions, tout en étant une structure d’accueil pour les victimes de la dégradation de notre environnement.

Ne vivons plus comme des cobayes

Plus généralement, il convient de rendre au citoyen la place qui lui est due dans l'élaboration, la mise en œuvre et l'évaluation des politiques publiques en matière de santé et d'environnement. C'était le but premier de cette marche, «être la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche» comme l'écrivait Aimé Césaire, redonner une voix aux sans-voix, à des femmes et des hommes affectés parfois de manière effrayante par les pollutions, dans leur lieu de vie, de travail, dans leur alimentation ou leurs soins, et qui se sentent abandonnés par nos gouvernants. Nous avons d'ailleurs demandé au gouvernement l'organisation d'Etats généraux de la santé environnementale cet automne à l'heure où l'Assemblée générale des Nations unies débattra des préconisations de l'OMS de réduire de 30% les maladies chroniques.

Chargement...

Nous ne voulons plus être des cobayes et mourir empoisonnés et intoxiqués par le jeu d’industries à qui les pouvoirs publics délivrent des permis de tuer. Basta !