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Interview

«Une vision trop manichéenne». Selon l'historien Pierre Birnbaum, les dreyfusards se sont engagés au nom de l'éthique plutôt qu'en fonction d'un clivage politique.

par Gilles BRESSON
publié le 15 janvier 1998 à 16h12

Professeur à l'université Paris I, Pierre Birnbaum est l'auteur de

la France de l'affaire Dreyfus, aux éditions Gallimard.

Lionel Jospin a déclaré hier: «On sait que la gauche était dreyfusarde et que la droite était antidreyfusarde.» Qu'en pensez-vous?

Il est difficile d'accepter une telle opposition manichéenne. Même un Jaurès ne devient dreyfusard que tardivement. Il ne s'engage vraiment dans le combat qu'à partir de 1898. Il ne faut pas pour autant oublier les jugements violemment antidreyfusards qu'il avait exprimés avant, de manière constante. Zola lui-même, héros du dreyfusisme, a fait preuve de profonds préjugés antisémites dans nombre de ses ouvrages antérieurs, avant qu'il ne lance son «J'accuse». S'il est vrai que les mouvements de droite se sont engagés globalement dans le camp antidreyfusard, il est également incontestable que la gauche républicaine, dans ses composantes les plus diverses largement représentées au pouvoir, a longtemps fait preuve d'une extrême retenue. Les socialistes seront d'une grande prudence jusqu'aux manifestations antisémites qui vont secouer la France en janvier et février 1898. Ce n'est qu'à la fin de cette année-là qu'ils jetteront toutes leurs forces dans le camp dreyfusard. Il ne faut pas oublier non plus que la dimension antisémite vient troubler l'analyse marxiste. Pour beaucoup, à l'époque, dans le camp guesdiste ou chez leurs alliés socialistes allemands, Dreyfus est un bourgeois, il n'est donc pas question de venir à son aide. Les républicains mettent un terme à l'injustice lorsque la République elle-même est en danger sous le poids de l'assaut des ligues. Les vrais dreyfusards sont avant tout des intellectuels, des savants, des personnalités marginales issues des milieux catholiques et surtout protestants, qui s'engagent au nom de l'éthique, de la raison et de la science, bien plus qu'en fonction d'un clivage gauche-droite. Le Premier ministre a ajouté: «J'aimerais qu'on me cite des personnalités des partis de droite de l'époque qui se sont dressées contre l'iniquité.» Y en a-t-il eu?

Du côté de la droite nationaliste et de ses composantes, il n'y en a, bien évidemment, aucun. Du côté de la droite modérée représentée par Jules Méline, président du Conseil, guère davantage. Il n'empêche que des personnalités modérées ont joué un rôle essentiel dans le camp dreyfusard. Elles l'ont rejoint au nom de l'éthique, comme le protestant Auguste Scheurer-Kestner, vice-président du Sénat, ou le colonel Picquart, catholique.

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