Décryptage

Rétablir le jour de carence pour les fonctionnaires est-il équitable et efficace ?

Le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, a annoncé le retour de cette mesure sarkozyste, destinée selon lui à rétablir une certaine équité par rapport aux salariés du privé et à réduire l'absentéisme.

publié le 7 juillet 2017 à 15h10
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«Conformément à l'engagement du président de la République», Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publics, venu des rangs de la droite, a annoncé jeudi le retour du jour de carence dans la fonction publique dès 2018.

Qu’est ce qu’un délai de carence ?

C'est la période durant laquelle un salarié n'est pas indemnisé par la sécu alors qu'il est en congé maladie. Dans le privé, ce délai est de trois jours. Dans la fonction publique, il est actuellement de zéro. Le gouvernement veut donc instaurer un jour de carence : l'employé en congé maladie sera alors indemnisé à partir du deuxième jour d'absence.

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La proposition débarque tout droit des cartons de la droite, qui avait instauré un jour de carence en janvier 2012, sous le gouvernement Fillon. Arrivé au pouvoir quelques mois plus tard, François Hollande s'est empressé d'annoncer sa suppression. Elle sera votée en 2013, effective en 2014. Marylise Lebranchu, ministre de la Fonction publique à l'époque, dénonçait alors une mesure inutile, inefficace mais aussi injuste.

Un principe d’équité ?

Selon Gérald Darmanin pourtant, le retour au jour de carence pour les fonctionnaires est justement destiné à «rétablir de l'équité entre le public et le privé». A première vue, en effet, les salariés du privé sont clairement lésés, puisqu'ils doivent attendre trois jours avant de percevoir leur indemnité, quand les fonctionnaires la touchent illico. Sauf qu'en réalité, dans le privé, ces jours de carence sont souvent compensés par l'employeur. Une étude menée par l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé, publiée en 2009 montrait ainsi que 66% des salariés bénéficient d'une prise en charge du délai de carence par leur prévoyance entreprise. Dans la fonction publique en revanche, pas de compensation financière – pas plus que pour les indépendants, bénéficiaires du RSI (que Macron a promis de supprimer) qui ont aujourd'hui un délai de carence de sept jours.

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En mai 2015, Emmanuel Macron, s'opposait d'ailleurs au sénateur LR Roger Karoutchi, qui proposait de revenir à la mesure sarkozyste, en utilisant cet argument. «Si l'on examine de près la situation des salariés du privé, on s'aperçoit que les deux tiers d'entre eux sont couverts par des conventions collectives qui prennent en charge les jours de carence. Donc, "en vrai", comme disent les enfants, la situation n'est pas aussi injuste que celle que vous décrivez», expliquait-il. Le même s'est pourtant engagé à rétablir le jour de carence pendant la campagne.

Les employés de la fonction publique ont en revanche un avantage sur ceux du privé : les premiers, selon leur ancienneté et pendant une certaine période, touchent une indemnité à la hauteur de leur salaire, tandis que les seconds reçoivent au maximum 50% de 1,8 smic. Un déséquilibre qui n'a cependant pas grand-chose à voir avec le délai de carence.

Réduire l’absentéisme ?

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C'est l'autre argument du nouveau ministre. «Même si le jour de carence ne doit pas être le seul instrument pour lutter contre l'absentéisme des agents, qui est aussi la conséquence de souffrances d'une partie d'entre eux […], il permet de lutter contre le micro-absentéisme qui désorganise les services, alourdit la charge de travail des collègues en poste et coûte environ 170 millions d'euros par an», a-t-il assuré, en contradiction avec les propos de Marylise Lebranchu, alors ministre de la Fonction publique. Au moment de l'abrogation de la loi votée sous Sarkozy, celle-ci expliquait que les effets de la mesure sur l'absentéisme n'étaient «pas démontrés». «Entre 2011 et 2012, la proportion d'agents en arrêt court est passée de 1,2% à 1% à l'Etat, de 0,8% à 0,7% dans les hôpitaux et est restée stable, à 1,1%, dans les collectivités», déclarait-elle, sans citer la source de ces chiffres et alors qu'il n'existe pas de bilan officiel.

Selon l'enquête la plus aboutie sur le sujet, réalisée par Sofaxis, courtier en assurances pour la fonction publique, en 2012, soit l'année où le jour de carence a été mis en place, le nombre d'absences d'un jour a reculé de 43% dans les collectivités territoriales et de 40% dans la fonction hospitalière. Voilà pour les chiffres volontiers mis en avant par l'entreprise qui, rappelons-le, travaille avec la fonction publique. Or, comme l'expliquait Marylise Lebranchu, certaines collectivités avaient commencé à faire appel à des mutuelles ou des assurances pour compenser le jour de carence de leurs employés, comme dans le privé.

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Reste que la même étude nous apprend que le nombre des arrêts maladie de quinze jours a augmenté de 35%. Une hausse due en particulier aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, nous explique-t-on. On peut voir dans ce chiffre la conséquence du vieillissement des agents – âge du départ à la retraite repoussé oblige – et de la meilleure détection de certaines maladies du travail, mais aussi, comme l’assuraient des syndicalistes et l’ancienne ministre, de la réticence de certains employés à prendre un jour quand le besoin s’en fait sentir, s’exposant ainsi à une dégradation de leur état.

Côté économies, l’expérience sarkozyste avait également été décevante : selon les chiffres du ministère de la Fonction publique, l’instauration du jour de carence a permis d’économiser entre 80 et 90 millions d’euros sur sa première année d’existence, quand le gouvernement en attendait environ 240 millions.

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Toujours au moment de l'abrogation du jour de carence, une enquête de la Dares, qui dépend du ministère du Travail, assurait que le taux d'absentéisme dans la fonction publique était de 3,9%. A peine plus que dans le privé (3,7%).