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portrait

Christophe Castaner : l’enjoliveur

L’omniprésent porte-parole du gouvernement à la gouaille du Sud raconte une famille troublée et une jeunesse de joueur de poker.
par Guillaume Gendron, photo Frédéric Stucin
publié le 18 septembre 2017 à 17h06
(mis à jour le 18 septembre 2017 à 18h51)

Il fut un temps, dans l'«ancien monde» prémacronien si proche et déjà si lointain, où Christophe Castaner était surnommé «Simplet» dans les cercles socialistes. «Du moins, c'est ce que voulait faire croire un mec dans l'entourage de Camba», dit le désormais secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement, jambes croisées et phrasé velouté. Son imposante carcasse emballée dans une chemise blanche («que des infroissables !») et tassée dans une chaise de jardin, l'ubiquiste porte-parole du gouvernement contemple le coquet jardin de son hôtel particulier de ministre. «J'aimerais bien savoir qui racontait ça… Il pourrait venir prendre un café.» Le transfuge socialiste, passé avec armes et bagages à la concurrence tel un quadra qui voit la lumière et achète une Harley, savoure sans faire de manières. Sans filtre, toujours, mais pas forcément naturel. «Derrière le côté "Casta et son orchestre", c'est tout sauf un bourrin, corrige-t-on du côté de Matignon. Il est même très fin. Il manie une rhétorique simple plutôt que de débiter de l'élément de langage à la chaîne, pour que ça imprime. Tout ça est très affûté.» Castaner, c'est le Bebel du gouvernement : la gouaille et les cascades pour faire passer coups de rabot et ordolibéralisme pour du bon sens populaire avec le bagou d'un vendeur de piscine. A la pugnacité loyale et raide de son prédécesseur, Stéphane Le Foll, Christophe Castaner ajoute une touche «d'incarnation» (son mot). Il appelle ça «donner de la chair», avec sa «part de fragilité», son accent chantant, ses lapsus, son parcours «imparfait» et son côté «atypique». Atypique, Castaner ? Romanesque même, au moins autant que le patron, veut-il nous faire penser. «Il a compris que dans la construction du panthéon macronien, il faut édifier des parcours particuliers», persifle un ancien ministre. On laisse alors Castaner dérouler.

Le père est la figure centrale, «l'antithèse». Un ancien militaire, rejeton d'une famille désargentée de Charente, entré dans la marine en tant que simple mousse à 14 ans, vétéran d'Indochine et d'Algérie. Cadet d'une fratrie de trois, Castaner est ainsi «provençal par hasard», parce que le bateau paternel mouillait alors en rade de Toulon. Le père reconverti dans le nucléaire, la famille s'installe à la campagne, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Des parties de pêche et autres sorties champignons que raconte son frère, le ministre n'a aucun souvenir. «L'enfance, j'ai zappé.» Ce qui lui reste, ce sont les corvées de jardinage, la main leste et l'avarice du patriarche. Un «Géo Trouvetou monomaniaque» qui, malgré ses revenus confortables, se lève aux aurores pour faire la collecte des encombrants et collectionne les lave-vaisselle défectueux. La mère, femme au foyer, récure en rêvant à la piscine qu'ils pourraient faire creuser avec leurs économies. C'est une maison plongée dans la quasi-obscurité par les ampoules très basse tension, c'est l'absence de musique et de livres. «Il n'y avait rien, on ne dépensait pas. Et c'est comme ça qu'ils nous ont laissé plusieurs centaines de milliers d'euros à leur mort.» Aujourd'hui, le rejeton vit sans consulter ses relevés de compte et satisfait à ses désirs en attendant le coup de fil du banquier. Il revendique une scolarité «médiocre, en rébellion». A l'inverse, son frère se souvient l'avoir vu se pointer au collège avec le Monde plié dans la poche arrière.

Après avoir claqué la porte du domicile familial à 17 ans - il arrive toujours un moment où l'enfant devient plus fort que le père et le laisse «sec sur le carreau» -, il se met à vivre la nuit. Entre sorties en boîte et parties de poker, où il croise quelques figures du milieu marseillais. «Manosque était leur base arrière. J'ai vu ces gens-là de près, certains se faisaient buter.» Il dit avoir vécu des cartes ces années-là, attiré par «l'argent facile» et les grosses cylindrées, tout en trouvant le temps de piger pour la presse locale et d'adhérer au PS. «Pour défendre Rocard. Mon premier échec.» La parenthèse «interlope» prend fin à 20 ans. Il obtient son bac en candidat libre et rejoint sa petite amie du lycée, Hélène, à Aix pour étudier le droit (ils sont toujours ensemble). Dans cette fac marquée à droite, il réactive la section Unef. A partir de là, ça roule tout droit, comme sur des rails. Dans les clubs Forum des bébés Rocard, («la génération juste après la troïka Valls-Fouks-Bauer»), il croise ses contemporains Benoît Hamon et Olivier Faure, prend goût à la mécanique budgétaire. Il se décrit à cette période comme un second couteau. Trop libéral, déjà. Aujourd'hui encore, l'ex-apparatchik socialiste souscrit pleinement aux «deux gauches irréconciliables» de Valls, «un copain», même s'il ne le suit pas dans sa «laïcité de combat». Arrive la cohabitation. Le voilà chez Catherine Trautmann à la Culture, puis Michel Sapin à la Fonction publique, lequel garde un plutôt bon souvenir d'une «personnalité méditerranéenne, qui s'extériorise beaucoup. Le mot "kéké" était déjà utilisé». A l'orée des années 2000, il construit son ancrage local. Il prend la mairie de Forcalquier, devient député PS en 2012 et se ramasse aux régionales derrière la nièce Le Pen et Estrosi.

Il rejoint Macron sans une hésitation et pense que la politique, c'est se placer«au bon endroit et au bon moment, sans forcément savoir ce que sera l'après». Il parle de son obsession du «cliquet», la conquête du pouvoir crantée, sans jamais redescendre. «Tous les politiques ont de l'ego. Ou alors ils mentent. Il y a peu, je téléchargeais encore la Provence à 5 heures du matin pour voir s'il y avait ma photo dans l'édition du jour.» Ambitieux mais pas intrigant, jure-t-il. «Le jour où ils me feront tous trop chier, j'irai ouvrir une paillote au Cap-Vert.»

Sa fille - hamoniste - s'apprête à le rejoindre à Paris pour entrer en prépa. L'autre, collégienne, est restée dans le Sud avec sa mère, cadre bancaire à Aix. Cet été, il n'a coupé qu'une semaine, et encore. Question culture, ce fan de Nicolas Cage, d'opéra et de hard rock (cherchez l'intrus) s'enflamme pour la beauté de The Young Pope… et des fesses de Jude Law. Brocardé pour un sous-entendu grivois au sujet de Rihanna, il plaide son manque de «culture féministe» mais se dit «révolté par la violence contre les femmes». Retour du refoulé familial. Il y a quelques années, l'ancien enfant de chœur a fait la paix avec son père, quand le reste de la fratrie s'éloignait. Il l'a même accompagné jusqu'à la fin. «Ma mère est morte d'un cancer, et il s'est trouvé comme un couillon. Il a théorisé qu'il voulait mettre fin à ses jours, parce qu'il s'emmerdait. J'ai dit que je comprendrais, quoi qu'il choisisse.» Le soir fatal, il a embrassé ce père, ce modèle inversé, a cherché longuement une formule pour finalement dire «à demain». Il y a des moments où même les porte-parole sont à court de mots.

3 janvier 1966 Naissance à Ollioules (Var). 1986 Bac en candidat libre.
2004-2012 Vice-président (PS) de la région Paca. 2012 Elu député.
2017 Entre au gouvernement.

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