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Deux ruptures prescrites sous ordonnance

Généralisation de la précarité et méfiance nouvelle pour le dialogue social hors de l’entreprise. Tels sont les caps des ordonnances sur le travail.

publié le 12 janvier 2018 à 18h24
(mis à jour le 12 janvier 2018 à 18h25)
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Quels sont les changements concrets amenés par la réforme du travail? Que faut-il savoir quand on cherche un emploi en 2018? Pour en savoir plus et interroger des experts, Libération organise une table ronde le 19 janvier à l’occasion du Salon du travail.

Dans les ordonnances Pénicaud du 22 septembre, les continuités sont relativement transparentes. La négociation d’entreprise reçoit plus de facultés destructrices, ce qui complète la loi «travail» du 8 août 2016. Le droit licenciement est affaibli, ce qui poursuit la loi du 14 juin 2013. Les représentants du personnel sont réduits et centralisés plus loin de leurs bases, ce qui prolonge la loi Rebsamen du 17 août 2015. Etc. Sur tous ces points, la présidence Macron ne fait qu’accélérer un mouvement plus ancien et plus général puisqu’il touche toute l’Europe. Ces évolutions sont graves, mais elles étaient prévisibles, attendues.

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Les changements de cap contenus dans les ordonnances sont eux plus surprenants. Ils sont aussi moins visibles et moins commentées, car le Gouvernement communique peu à leur sujet. Ils sont pourtant essentiels pour comprendre ce qui se déroule sous nos yeux.

Le premier est dans la généralisation voulue de la précarité. L’affaiblissement du droit du licenciement était, jusqu’ici, présentée comme une mesure de résorption de la fracture existante entre les insiders, dotés d’un emploi stable en CDI, et les outsiders qui enchaînent les petits CDD. La déstabilisation du CDI était présentée comme le moyen d’intégrer les précaires. L’idée était contestable. Ce n’est pas en déstabilisant l’emploi stable qu’on stabilise l’emploi précaire. Mais au moins, prétendait-on déshabiller les uns pour habiller les autres. On préconisait même un contrat de travail unique, pour tous. Il n’en est plus question. Les ordonnances Pénicaud déstabilisent le CDI, notamment en plafonnant les indemnités dues en cas de licenciement sans procédure ni justification. Et elles ouvrent simultanément de nouvelles possibilités d’utilisation des CDD, des contrats de travail temporaires, des contrats de chantier, avec une convention de branche. On déshabille les uns et, en même temps, on déshabille aussi les autres. L’idée est de favoriser la précarité sous toutes ses formes, pour toutes les formes d’emploi.

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Pourtant quelques protections de l’emploi semblaient utiles, non seulement socialement, mais aussi économiquement. La stabilité n’est pas une nuisance, ni un archaïsme. L’exemple de l’Allemagne, pays doté d’une très forte protection contre les licenciements, va dans ce sens. Les emplois qui se développent sont les emplois cognitifs ou relationnels, plus friands d’ancienneté que les tâches de simple exécution concurrencées par le digital et la robotique. D’ailleurs, l’ancienneté moyenne augmente en France et dans l’OCDE. Peu importe, pour le gouvernement. Les managers doivent être libres de gérer l’emploi sans contraintes. C’est plus cette revendication managériale qui s’impose au sommet de l’Etat, qu’une pensée économique.

La seconde rupture est une méfiance nouvelle pour le dialogue social hors de l'entreprise. Il est interdit aux organisations patronales et syndicales de branche de rendre impérative leurs conventions: les clauses de verrouillage - qui interdisaient la destruction des conventions de branche par convention d'entreprise – sont désormais nulles, sauf exceptions. Par ailleurs, l'extension des conventions collectives, qui permet d'unifier le droit conventionnel applicable dans toute une branche d'activité, est elle aussi devenue suspecte. Le ministre pourra refuser l'extension pour «atteinte excessive à la libre concurrence» alors que l'utilité de ces extensions est justement d'éviter la concurrence par le dumping social. Cette même méfiance pour le dialogue social se retrouve dans les annonces relatives à la réforme de l'assurance chômage, lesquelles envisagent une certaine étatisation.

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De telles attaques de l’Etat contre le dialogue social sont nouvelles. Elles entérinent un retour de l’Etat. Mais ce retour ne doit rien aux idées d’intérêt ou de volonté générale. L’esprit est plutôt du côté de l’assimilation de l’Etat à une entreprise, de son président à un dirigeant de start up, de sa ministre du travail à une DRH. L’Etat se pense comme une sorte de société mère, les autres grandes entreprises françaises n’étant au fond guère plus que des filiales. Ce qui légitime une nouvelle sorte d’interventionnisme, qui tente d’imposer des réductions de coûts aux entreprises, même contre la volonté de leurs dirigeants réunis en associations patronales. Ce n’est plus l’interventionnisme de l’Etat providence, mais celui de l’Etat cost killer.

Nos nouveaux gouvernants/managers ne sont plus tout à fait des néo-libéraux. Les temps changent. Mais sans doute pas pour le meilleur.

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Derniers ouvrages parus Voyage en misarchie-Essai pour tout reconstruire (éditions du Détour 2017), Proposition de code du travail (coord., Dalloz 2017)