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Bolloré se lance à l'assaut de l'empire Berlusconi

Le patron de Vivendi annonce détenir plus de 12 % du capital de Mediaset, le groupe de télévision de Silvio Berlusconi. L'opération a tout du raid boursier, mais chez Bolloré, on vante la «convergence».
par Jean-Christophe Féraud
publié le 13 décembre 2016 à 20h46

Après avoir mis Canal + au pas, vidé i-Télé de sa rédaction et assiégé l'éditeur de jeux Ubisoft, Vincent Bolloré s'est trouvé une nouvelle proie avec laquelle jouer de l'autre côté des Alpes : une cible de taille puisqu'il s'agit carrément de l'empire de télévision Mediaset de Silvio Berlusconi. Cela se confirme, le raider breton est bel et bien en train de lancer un début d'OPA hostile sur le holding du «Cavaliere» qui contrôle notamment les chaînes italiennes Canale 5, Italia 1 et Rete 4 : après avoir annoncé lundi soir que son groupe Vivendi détenait un peu plus de 3 % du capital de Mediaset et ambitionnait «devenir, le cas échéant, le deuxième actionnaire industriel de Mediaset» à hauteur de 10 % à 20 %, Bolloré est passé de la parole aux actes en moins de vingt-quatre heures.

Vivendi indique ce mardi soir détenir «12,32 % du capital de Mediaset» sans en dire beaucoup plus sur les intentions de son patron qui semblent claires comme de l'eau de roche : Bolloré est bien parti pour essayer de bouffer tout cru le business télévisuel de son ami Berlusconi, avec qui il devait théoriquement créer un «Netflix européen». Jusqu'à cet été, Vivendi était ainsi censé acquérir 100 % du capital de Mediaset Premium, la filiale de télévision payante de Berlusconi. Et chacun des deux groupes devait prendre 3,5 % du capital de l'autre. Mais Bolloré a subitement rompu les négociations pour jeter son dévolu sur le navire amiral Mediaset. Pourquoi voir petit quand on peut tenter de prendre le contrôle du premier groupe de télévision italien et de sa régie publicitaire Publitalia ?

Cible de choix

Dans l'entourage du saigneur des affaires, on temporise mollement pour mieux valider la logique de l'offensive en cours : «On n'en est pas encore au déclenchement d'une OPA sur Mediaset, mais il y a une vraie logique à rapprocher deux acteurs de taille de la télévision en Europe comme Vivendi et Mediaset», dit avec gourmandise un proche de Bolloré pour qui «la consolidation est inévitable face aux nouveaux géants comme Netflix et Amazon». Mediaset est une cible de choix pour qui voudrait encore créer un «Netflix européen» : outre ses chaînes italiennes qui drainent encore une part d'audience de 32 % et plus de 40 % du marché publicitaire TV, le groupe de Berlusconi détient notamment les chaînes espagnoles Telecinco et Cuatro, et quatre chaînes thématiques (31 % de part d'audience et 43 % du marché publicitaire). «Il y a de belles synergies à imaginer entre la France, l'Italie et l'Espagne dans la production et la diffusion sur tous les écrans», met en avant l'entourage de Bolloré. Et malgré les difficultés de sa filiale de télévision à péage Premium qui perd 100 millions d'euros par an et le déclin de son modèle de chaînes généralistes à la TF1, Mediaset aligne encore un chiffre d'affaires de 3,5 milliards d'euros.

Un beau morceau pour Bolloré qui peut rêver aussi d'accélérer «la convergence» entre contenus et télécoms : le patron de Vivendi est actuellement en tractations avec Orange pour lui vendre un bout de Canal + en échange d'une participation au capital de l'opérateur. Et puisqu'il détient déjà 24,9 % de Telecom Italia, Bolloré se verrait bien faire le même tour de passe-passe convergent en Italie avec Mediaset… Oui, mais encore faut-il que Berlusconi soit d'accord. Ce qui est loin d'être le cas. Le Condottiere a déjà assigné en justice Vivendi pour avoir rompu les négociations sur Mediaset Premium. Côté français, on accuse l'italien d'avoir enjolivé, pour ne pas dire maquillé, les comptes de la chaîne de télé à péage. Bref, l'ambiance n'est pas au mariage d'amour.

Guerre sans merci

C'est plutôt une guerre sans merci qui s'annonce entre les deux camps. C'est déjà le branle-bas de combat en Italie car le groupe français approche le seuil des 25 % qui l'obligerait à lancer une offre publique d'achat en bonne et due forme sur le premier groupe audiovisuel transalpin. L'opération est en tout cas à la portée de Vivendi qui, au vu de la valeur de Mediaset à la Bourse de Milan (4 milliards d'euros), a déjà dépensé plus de 400 millions d'euros pour rafler 12 % du capital du groupe italien. Dans le clan Berlusconi, c'est la panique, mais on commence à organiser la défense : on parle d'«escalade hostile» en accusant Bolloré d'avoir rompu sciemment le projet d'alliance entre les deux groupes dans la télé à péage pour faire baisser la valeur de Mediaset et racheter ainsi les actions du groupe à vil prix. Le camp italien a d'ores et déjà déposé plainte contre Vivendi devant les autorités boursières pour «manipulation de cours». Et la presse transalpine tire à boulets rouges contre ce «pirate» français qui profite aujourd'hui de l'instabilité politique en Italie pour tenter de mettre la main sur l'empire audiovisuel de l'ancien président du Conseil qu'est Silvio Berlusconi. Ce qui ressemble tout de même assez aux méthodes de Bolloré la terreur...

On attend maintenant la contre-attaque de «Sua Emittenza», qui détient 34,7 % de Mediaset via son holding personnel Fininvest. Le caïman vieillissant (80 ans) ne peut définitivement pas laisser tomber l’empire familial – aujourd’hui dirigé par son fils Pier Silvio – entre les mains du corsaire français. Du moins sans livrer une bataille acharnée. La dernière, sans doute, de sa longue carrière de magnat de la télévision et de la politique.

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