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Interview

Cause animale : «La France a un énorme retard sur ces sujets»

Pour Elisabeth de Fontenay, le souci du mieux-être animal est plus développé dans les pays protestants que dans l’Hexagone. La philosophe pointe également la perte du caractère sacré de l’animal liée à la christianisation.
par Philippe Brochen
publié le 20 février 2017 à 19h46

En 1998, Elisabeth de Fontenay signait le Silence des bêtes, la philosophie à l'épreuve de l'animalité, chez Fayard. Les animaux pensent-ils ? Sont-ils doués de raison ? Ont-ils la même sensibilité que nous ? Faut-il s'interdire de les manger ?

Pourquoi mange-t-on des animaux dans certaines sociétés et pas dans d’autres ?

Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de sociétés dans lesquelles on ne mange pas de viande. Dans toutes les grandes cultures, on mange des animaux. Et certaines religions pratiquent des interdits alimentaires qui relèvent de la culture du sacrifice. Chez les juifs et les musulmans, il s'agit d'invoquer Dieu avant de tuer l'animal pour le manger. Dans notre société, on ne mange pas de chien [une dizaine de pays dans le monde le font, ndlr] car nous avons un rapport fraternel, presque humain avec lui. Personnellement, je n'ai jamais pu manger de cheval du fait de ma proximité avec cet animal en tant que cavalière.

La société culpabilise-t-elle plus de tuer des êtres pour les manger ?

La France est catholique et méditerranéenne. Elle a un énorme retard par rapport à ce qui se passe en Angleterre, aux Etats-Unis et dans les pays du nord de l’Europe. Ces pays sont plus réceptifs à la sensibilité et à la douleur animales. Et beaucoup plus respectueux du mieux-être animal. Il y a de grands protestants qui ont défendu les animaux, comme Albert Schweitzer qui ne pouvait pas envisager de soigner des humains sans veiller sur les animaux en même temps. Donc, oui, il y a certainement en France une culpabilité de ce retard à la découverte de la sensibilité animale. Et une attention aux questions qui se posent sur le droit à manger des êtres vivants terrestres ou marins. C’est un progrès, certes, mais tardif. C’est la raison pour laquelle notre société compte de plus en plus de végétariens et de végétaliens. Enfin, cette question est également politique. Les gens qui militent pour de meilleures conditions d’abattage ou ceux qui sont contre la chasse le font hors des formations politiques, alors que la France est un pays extrêmement politisé.

En tant que philosophe, qu’est-ce qui vous a menée vers la question animale ?

Les philosophes ont le plus souvent parlé des animaux pour les opposer aux hommes. J'ai essayé de repenser l'histoire de la philosophie en fonction de ce mépris pour les animaux, leur sensibilité et leur intelligence. J'étais très proche de Jacques Derrida [qui se préoccupa beaucoup des questions animales]. Et, par ailleurs, je ne peux pas dissocier complètement mon orientation philosophique du fait que j'ai vécu dans mon enfance et mon adolescence avec des animaux : des vaches, des chevaux, des chiens… J'ai également suivi des chasses familiales, mais je ne tirais pas ! Et c'est là, pour la première fois, que j'ai fait l'expérience de la mort animale.

Dans votre ouvrage, vous écrivez que l’Antiquité était «une sorte d’âge d’or pour les bêtes»…

Les représentations religieuses ont joué un grand rôle dans l’écriture de mon livre, puisque je parle de christianisme et de judaïsme. J’avais alors l’idée que dans les cultures où l’on pratiquait le sacrifice, comme par exemple dans la culture grecque antique, le rapport à l’animal était bien meilleur dans la mesure où on ne pouvait pas dissocier le divin, l’humain et l’animal. L’animal était alors pris dans une chaîne symbolique. Plus tard, avec le christianisme qui a aboli le sacrifice, les animaux sont devenus des choses. Ils y ont en quelque sorte perdu leur dignité.

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