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Le nouvel actionnaire de BeIn Sports France est anglais

A l'occasion d'une nouvelle recapitalisation de 600 millions d'euros, destinée à éponger les pertes de son bouquet de chaînes sportives, le Qatar a transféré la propriété de l'entreprise à l'une de ses sociétés britanniques. Est-ce le prélude d'un désengagement en France ?
par Jérôme Lefilliâtre
publié le 16 mars 2017 à 7h43

A BeIn Sports, le Qatar continue de combler les trous financiers. D'après des documents comptables récupérés par Libération, l'émirat a de nouveau dû mettre la main à la poche en fin d'année dernière, injectant la bagatelle de 600 millions d'euros dans le bouquet de chaînes sportives, qui connaît des pertes considérables en France. L'opération a eu lieu le 28 décembre, à l'occasion de deux augmentations de capital simultanées, l'une de 500 millions d'euros, l'autre de 100 millions. Contactée à ce sujet, BeIn Sports a confirmé l'information.

Ce n'est pas la première fois que Doha est obligé de recapitaliser la société française de son groupe audiovisuel, créée en 2012. Comme nous l'avons raconté récemment, il a déjà fallu apporter un montant cumulé de 800 millions d'euros dans la boîte, d'abord en mars 2013 puis en septembre 2015. Au total, l'activité aura donc coûté au Qatar 1,4 milliard d'euros.

Malgré le succès commercial de BeIn, qui compte plus de 3 millions d'abonnés, son modèle économique reste insoutenable. Entre 2012 et 2015, le bouquet de chaînes sportives a accumulé des pertes nettes supérieures à 1 milliard d’euros, pour un chiffre d’affaires cumulé de seulement 591 millions. Interrogée, l'entreprise n'a pas voulu détailler ses performances en 2016.

Au-delà des sommes colossales en jeu, la recapitalisation du mois de décembre s'est accompagnée d'une transformation juridique qui n'est peut-être pas anecdotique. La société par action simplifiée BeIn Sports France, qui siège à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), a changé d'actionnaire direct. Elle n'est plus sous le contrôle immédiat de BeIn Media Group LLC, une entreprise qatarienne logée à Doha, mais de BeIn Europe Limited, basée à Londres. Cette compagnie de droit anglais est présidée par Nasser al Khelaifi, le patron de BeIn dans le monde, qui est aussi le boss du Paris-Saint-Germain, club de foot détenu par le Qatar.

Comment cette transformation actionnariale a-t-elle été rendue possible ? Par un tour de passe-passe juridique. La recapitalisation du 28 décembre s'est déroulée en trois temps. La somme de 500 millions d'euros, par la création de 500 millions d'actions à 1 euro, a d'abord été fournie par BeIn Media Group LLC, la société qatarienne. Le capital social de BeIn France, 100 millions d'euros avant l'opération, a ainsi été porté à 600 millions. Ramené à zéro dans un deuxième temps via une réduction de capital intégrale, il a été finalement relevé à 100 millions par un apport en cash de la structure londonienne, devenue de fait la propriétaire de BeIn France.

Quel est le but de la manœuvre ? «Dans le cadre d'une réorganisation du groupe BeIn et pour une meilleure cohérence de ses activités européennes, il a été souhaité que les actifs de BeIn Sports France soient rattachés directement à ceux de BeIn Europe Limited», précise l'entreprise, qui dément tout intérêt fiscal ou stratégique. «Il s'agit simplement d'une cohérence d'organisation au niveau du groupe et de regroupement par territoires de nos activités.» La direction fait valoir que la société londonienne est elle-même détenue à 100% par BeIn Media Group LLC, la société établie à Doha, via une autre holding britannique, BeIn IH Limited. Aussi, conclut-elle, «BeIn Sports France reste indirectement une filiale à 100% de BeIn Media Group». Circulez, il n'y aurait rien à voir !

Le mouvement pose néanmoins question. Au Royaume-Uni, BeIn n'édite pas de chaîne de télévision, mais dispose d'une équipe chargée d'acheter des droits sportifs dans le monde entier. Pourquoi monter cette cascade d'entreprises passant par Londres ? En France, depuis plusieurs mois, le milieu du sport et des médias s'interroge sur les véritables intentions des Qatariens, que chacun a remarqués beaucoup moins agressifs dans l'acquisition de droits et beaucoup plus conciliants avec les rivaux Canal+ et SFR. Sont-ils sur le point de se retirer ? De vendre leur activité télévisuelle française aux concurrents ? Ou au moins de lever le pied ? «Il n'y a aucun désengagement», assure une source proche des Qatariens. La réorganisation britannique ne risque pas de faire taire les rumeurs.

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