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Vu de Palestine

Pénurie d'électricité : pourquoi Gaza est plongé dans le noir

Israël a annoncé dimanche vouloir réduire sa distribution d'énergie dans le territoire. En avril, l'Autorité palestinienne avait déjà cessé de payer les frais de la seule centrale existante. La population ne disposait que de trois à quatre heures de courant par jour, elle risque d'en n'avoir plus que deux.
par Chloé Rouveyrolles, envoyée spéciale à Ramallah
publié le 15 juin 2017 à 12h36

«Le quotidien de Gaza, ce sont les maisons détruites, et les enfants qui se blessent avec les bougies qu'on allume parce qu'on n'a plus d'électricité», s'emporte Ismaïl Shimbari, père d'une famille nombreuse s'entassant dans un préfabriqué insalubre de Beit Hanoun, une ville proche de la frontière avec Israël. «Le Hamas ne gagnera aucune guerre, le siège israélien ne sera jamais levé, et on va juste tous crever ici», conclut ce trentenaire dont la maison a été détruite dans le dernier affrontement entre Israël et le Hamas, à l'été 2014.

Alors que le petit territoire, 365 kilomètres carrés pour 2 millions d’habitants, subit une crise humanitaire chronique régulièrement dénoncée par les Nations unies, nombreux sont ceux qui partagent le pessimisme d’Ismaïl. Dernier épisode en date : les pénuries d’électricité. Elles n’avaient jamais atteint un niveau aussi critique. En avril, l’Autorité palestinienne (AP) a cessé de payer les frais de la seule centrale de Gaza. Dimanche, Israël, qui fournit la majorité de l’énergie, a aussi annoncé qu’il allait réduire sa distribution. Les Gazaouis obtenaient de trois à quatre heures de courant par jour et n’en recevraient donc plus que deux.

Conséquences dramatiques

Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, met ainsi la pression sur le Hamas, qui gouverne Gaza sans partage. Cette semaine marque justement les dix ans de la prise de pouvoir par la force de ce mouvement islamiste, considéré par beaucoup, au sein de la communauté internationale, comme une organisation terroriste, dont l’Union européenne. Toutes les tentatives de réconciliation ont échoué : le Hamas entend faire vivre Gaza sous sa bannière, et l’AP, à Ramallah, refuse. Cette décennie de divisions paralyse l’ensemble de la société car sans gouvernement uni, une Autorité palestinienne qui se bat pour être reconnu comme Etat pédale dans le vide.

Les Israéliens ont eux aussi abattu leurs cartes. Contre les recommandations de l’armée, le gouvernement d’Israël a donc annoncé réduire d’environ une heure l’approvisionnement quotidien de la bande de Gaza. Les conséquences seraient dramatiques car sans électricité, les hôpitaux, les systèmes de traitement des eaux usées ou d’éclairage public ne pourront plus fonctionner normalement.

Le ministère de la Santé local, tenu par le Hamas, a déjà annoncé le report sine die d’au moins un tiers des opérations. Si l’irrigation des cultures ne fonctionne plus, en plein cœur de l’été, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) prévoit des pénuries alimentaires.

Un problème de plus

«Tout est déjà très fragile», soupire Omar Shaban, économiste et analyste politique de Gaza : «Ça pourrait basculer très vite dans cette atmosphère.» Pour lui, la crise de l'électricité n'est qu'un problème de plus dans le marasme : «Il y a dix ans, on avait certes du courant tout le temps, mais on avait aussi des emplois pour plus de 85% des diplômés, une liberté de mouvement relative mais existante, une économie dynamique, la sécurité alimentaire…» La prise de pouvoir du Hamas par la force, la division politique nationale, et le blocus imposé par Israël ont rendu la situation «complètement désespérée».

Selon la Banque mondiale, le PIB de Gaza a perdu 50% de sa valeur à cause du blocus israélien, et le chômage concerne 45% de la population active. Les frontières ne laissent passer les Palestiniens qu’au compte-gouttes. L’immense majorité des habitants est aujourd’hui dépendante de l’aide humanitaire pour sa survie.

D'autres indicateurs sont au rouge. Les confrontations entre soldats israéliens et Palestiniens le long de la frontière sont quotidiennes. Vendredi, un Palestinien a été tué. Le même jour, l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA)  s'est outré de la découverte d'un tunnel creusé entre deux de ses écoles. Ces galeries servent notamment à approvisionner le territoire en armes. Le Hamas a pour l'instant démenti l'existence du tunnel, mais «cette annonce pourrait avoir des conséquences dramatiques puisque les dirigeants israéliens s'en servent contre Gaza», décrypte le politologue Mkhaimar Abusada, depuis Gaza. Après avoir fustigé l'UNRWA et les tunnels, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a néanmoins calmé le jeu : son pays ne veut pas «d'escalade» militaire.

Isolement du Hamas

Les dirigeants islamistes de l'enclave, à rebours, affichent une certaine combativité. L'un de ses porte-parole, Salah Bardawil, rappelle de manière sibylline que «personne ne peut garantir la stabilité relative» de la région.

«Le Hamas n'a, a priori, pas d'intérêt à déclencher une guerre avec Israël», tranche Mkhaimar Abusada. Il souligne l'isolement actuel du mouvement dont l'un des principaux soutiens, le Qatar, est empêtré dans une crise diplomatique. L'Arabie Saoudite et ses alliés lui demandent de couper les ponts avec l'organisation terroriste. Même s'il tente de sauver les meubles, aujourd'hui l'émirat peut plus difficilement venir en aide à Gaza.

La semaine dernière, les dirigeants du Hamas étaient au Caire, renouant avec des appuis égyptiens. Le nouveau pouvoir, ayant chassé l'islamiste Mohamed Morsi en 2013, était longtemps resté distant de ces voisins peu fréquentables. «Le Hamas a rencontré de nombreuses personnes qui sont potentiellement intéressées par une résolution des crises en cours, et il espère peut-être que le soutien égyptien permettra d'éviter un nouveau cycle de violence», explique le politologue Abusada, s'appliquant à naviguer entre pessimisme réaliste et optimisme salutaire.

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