Santé

Pollution de l’air : l’Etat placé face à ses responsabilités

La rapporteure du Conseil d’Etat a proposé, mercredi, d’enjoindre le gouvernement de lutter contre les concentrations élevées de dioxyde d'azote et de particules fines.

publié le 21 juin 2017 à 20h46
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Les pics de pollution se suivent et se ressemblent, selon une dramaturgie qui pourrait être comique si le sujet n’était pas si grave. Beau temps et grosses chaleurs. Alerte des organismes de surveillance de la qualité de l’air, comme Airparif en Ile-de-France.  Procrastination de l’Etat. Suffocations, urgences hospitalières assaillies, émoi de la population et de maires des grandes villes comme Paris. C’est encore ce qui s’est passé cette semaine.

Alors que la concentration d’ozone en Ile-de-France dépasse le seuil d’information et de recommandation depuis lundi, la préfecture de police de Paris n’a annoncé que mercredi la mise en place de la circulation différenciée : ce jeudi, les véhicules les plus polluants (ceux non classés et ceux affichant des vignettes Crit’Air de classe 4 et 5) seront interdits de circulation à Paris et en proche banlieue.

Valeurs limites

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Mais ces pics ne sont que la partie émergée de l'iceberg. C'est bel et bien la pollution chronique de l'air qui est la plus dangereuse, celle qui est responsable de 48 000 morts prématurées par an en France (soit 132 par jour, autant que les décès dus à l'alcool et deux tiers de ceux dus au tabac). Or là non plus, l'Etat français ne brille pas par son volontarisme. Il se fait régulièrement rappeler à l'ordre par la Commission européenne. Celle-ci a engagé une action en justice contre plusieurs Etats membres, dont la France, pour violation permanente de la directive de 2008 sur la qualité de l'air, qui fixe des valeurs limites pour les polluants atmosphériques, notamment le dioxyde d'azote (NO2) et les particules fines (PM10). En février, encore, Bruxelles adressait un «dernier avertissement» à l'Allemagne, la France, l'Espagne, l'Italie et le Royaume-Uni, au motif que ces pays n'ont pas remédié aux infractions répétées aux limites fixées pour le NO2. La Commission rappelait qu'en 2013, «la persistance de niveaux élevés de NO2 a entraîné la mort prématurée de près de 70 000 Européens, soit presque trois fois le nombre de décès par accident de la route la même année».

Mais Bruxelles n'est pas la seule à enjoindre à l'Etat de prendre enfin des mesures ambitieuses. L'ONG Les Amis de la Terre se bat depuis onze ans en justice pour faire en sorte que les plans de protection de l'atmosphère (PPA) adoptés par les préfets soient mis en œuvre au-delà d'un simple affichage. En 2015, elle a déposé une ultime requête devant le Conseil d'Etat, visant à faire respecter la directive de 2008 sur l'ensemble du territoire national. Et la voilà sur le point de remporter une victoire, qu'elle qualifie d'«historique». Car mercredi, la rapporteure publique du Conseil d'Etat a proposé de faire droit à sa requête, préconisant que le juge administratif suprême enjoigne à l'exécutif de prendre toutes les mesures nécessaires afin de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites, «dans le délai le plus court possible, partout où leur dépassement a été constaté de façon persistante, et de les transmettre sous forme de plan relatif à la qualité de l'air à Bruxelles avant le 1er juin 2018». Elle demande aussi 3 000 euros pour Les Amis de la Terre.

«Pas banal»

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Si le Conseil d'Etat suivait les conclusions de la rapporteure - ce qui est en général le cas - dans son jugement prévu d'ici quinze jours à un mois, «ce ne serait pas banal», euphémise Louis Cofflard, avocat et président de la branche parisienne de l'ONG. «Cela permettrait enfin de faire respecter la directive sur la totalité du territoire, et ce à la demande d'une association.» Et de rappeler le nombre hallucinant de personnes exposées au dépassement de valeurs limites d'émissions de PM10 et de NO2. A Paris, zone la plus touchée devant Lyon, Marseille ou la vallée de l'Arve (Haute-Savoie), les évaluations faites dans le plan de protection de l'atmosphère en vigueur prévoient que 600 000 personnes resteront exposées à des dépassements de PM10 et 1,5 million à des dépassements de NO2 en 2020. «On planifie l'échec, on acte qu'on dépassera toujours les valeurs limites de la directive, alors même que celles-ci, pour les PM10, sont deux fois supérieures aux recommandations de l'OMS, s'indigne Louis Cofflard. Nous demandons à l'Etat d'enfin prendre ses responsabilités et les mesures qui s'imposent pour protéger la santé, mais aussi l'environnement et les finances publiques» - la pollution de l'air coûterait plus de 100 milliards d'euros par an à la France, selon une commission d'enquête sénatoriale de 2015.

Les mesures à prendre sont connues : lutter contre le tout-routier et le diesel. Le précédent exécutif a surtout fait l’inverse, notamment en cassant le transport ferroviaire. Ou en tuant l’écotaxe poids lourds. Que fera celui-ci ? L’avis de Nicolas Hulot, le ministre de la Transition écologique et solidaire, est très attendu.