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Interview

Manuel Bompard : «La France insoumise n’est pas une secte»

La formation a parcouru un long chemin depuis la présidentielle, assure l’ancien directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Désormais secrétaire général des insoumis, il propose une opposition élargie à «tous ceux qui le veulent», revendiquant un «mouvement ouvert».
par Rachid Laïreche, photo Ulrich Lebeuf (Myop) et Charlotte Belaïch
publié le 11 février 2018 à 17h06

Il se définit comme le «chef d’orchestre» de La France insoumise. A 31 ans, cet ex-directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle gère le mouvement à l’ombre, loin des lumières qui entourent les députés insoumis. Dans un petit café, près de la gare du Nord, Manuel Bompard - qui pourrait être la tête de liste de La France insoumise lors des européennes - nous livre les difficultés et ambitions du mouvement face à Emmanuel Macron.

Cela vous va d’être moins visible, moins médiatique que certains de vos copains insoumis ?

C’est vrai que parfois, j’aimerais être avec mes copains sur le banc de l’Assemblée nationale, en première ligne pour mener les batailles et porter nos idées. Mais je suis surtout très fier et très admiratif de leur travail. Ce qui l’emporte, c’est la satisfaction collective. Je me consacre au travail de coordination du mouvement. C’est un rôle moins exposé, moins visible, mais passionnant. Et j’y trouve une réelle satisfaction.

Dernière nouveauté au sein de La France insoumise : une école de formation. Quel est l’objectif ?

Nous sommes un mouvement qui regroupe près de 500 000 personnes et chacun a sa propre histoire. Les gens sont d’horizons différents et, pour beaucoup, il s’agit du premier engagement politique. L’école n’a donc pas pour objectif d’imposer une doctrine. Elle est un outil pour mieux comprendre le monde et ainsi mieux le transformer. On y retrouvera des cours et des tutos pour être plus efficace pour convaincre et populariser les idées de notre programme. Car La France insoumise est un mouvement d’action. L’école est donc un mode d’implication de plus proposé aux insoumis qui le souhaitent. Chacun en fait ce qu’il veut. Nous ne sommes pas une secte.

Vous employez le mot «secte», qu’il n’est pas rare d’entendre lorsque certains parlent de votre mouvement…

C’est incroyable. La France insoumise fait partie des mouvements les plus ouverts du paysage politique. Regardez notre groupe parlementaire, il regroupe des traditions politiques différentes. Il y a des gens du Parti de gauche, des gens d’Ensemble, d’anciens communistes, des gens qui débutent en politique. Quel groupe à l’Assemblée peut en dire autant ? En fait, ceux qui disent que nous sommes sectaires voudraient que nous nous accrochions à leur vieille remorque pour se partager le gâteau électoral. Nous ne voulons pas de tambouille, mais nous sommes prêts à travailler dans l’action et la clarté avec tous ceux qui le veulent. Nous avons proposé aux associations, syndicats et partis politiques qui le souhaitent de coorganiser nos campagnes nationales. Il y a plus sectaire, non ?

Vous utilisez souvent le mot «bataille», la politique en est une ?

La politique, c’est une bataille de conviction. C’est la conflictualité qui crée de la conscience et qui éclaire les choix. Ensuite, des projets s’affrontent et la démocratie tranche. Pour autant, les partisans d’un autre projet de société ne sont pas condamnés au silence. L’opposition, pacifique bien sûr, est indispensable à la démocratie. C’est le rôle que joue La France insoumise.

La bataille avec Macron est loin d’être gagnée, il grimpe dans les sondages et applique son projet. Il vous surprend ?

Il ne me surprend pas du tout. Il est assez banal, avec des idées héritées du XVIIIe siècle et une pratique monarchique du pouvoir qui contraste avec le renouvellement qu'il prétendait incarner. C'est une très vieille politique dans un corps jeune. En revanche, il est habile. Et nous n'avons pas réussi pour l'instant à le contrarier sérieusement. Il y a aussi un vrai paradoxe. Les enquêtes d'opinions disaient que les Français étaient contre les ordonnances travail. Mais nous ne sommes pas parvenus à traduire ce refus dans un mouvement populaire. Sans doute les difficultés de la vie ne facilitent pas la mobilisation. Chacun doit également s'interroger sur ses propres responsabilités. La division entre syndicats, et entre les syndicats et les politiques, nous a été fatale.

La France insoumise a-t-elle les moyens de mener toutes les batailles, d’être partout ?

Ce n’est pas notre mouvement qui détermine les terrains de confrontation. C’est le Président qui a engagé une offensive globale. Il ouvre tous les fronts en même temps. C’est un signe de fragilité car le premier point qui résiste peut tout faire tomber. Et le travail du mouvement est de répondre présent pour trouver ce point de faiblesse. Nous ne prétendons pas le faire seuls. Fixons une initiative commune avec toutes celles et ceux qui veulent résister, comme nous l’avions proposé en septembre.

Vous êtes condamnés à être dans la réaction ?

Non, nous avons aussi notre propre activité. Le 1er février, notre groupe parlementaire a présenté cinq textes à son initiative. Et lors de notre convention en novembre, à l'issue d'un vote des insoumis, nous avons décidé de mener des campagnes pour lutter contre la pauvreté, la fraude fiscale et trouver les solutions pour sortir du nucléaire. D'ailleurs, nous organisons une votation citoyenne sur la sortie du nucléaire entre les 11 et 18 mars.

On vous a moins entendu sur le mouvement «Balance ton porc». Pourquoi ?

Ce mouvement est une très bonne nouvelle. La peur doit changer de camp, et parler, c’est déjà agir. Si vous nous avez moins entendus, c’est peut-être parce que, depuis juin, un lourd «bashing» médiatique a essayé de nous enfermer dans des polémiques ridicules ! Pourtant, nous nous sommes largement exprimés dans les médias comme à l’Assemblée. C’est aussi sans doute parce que ce thème n’a pas été un thème de confrontation avec le pouvoir. Nous saluons le président de la République quand il dit qu’il faut en faire un sujet majeur. Nous ne sommes pas dans l’opposition systématique. Mais maintenant, le gouvernement doit aller au-delà des belles paroles et agir. Or sa politique aveugle de réduction de la dépense publique affecte directement les politiques d’accompagnement des victimes de violences sexuelles. Il serait temps qu’il le comprenne !

N’y a-t-il pas eu une phase de découragement depuis la rentrée ?

Non, car le chemin parcouru depuis la création de La France insoumise est énorme. Nous avons fait près de 20 % à la présidentielle et nous avons aujourd’hui un groupe à l’Assemblée nationale. C’est pas mal pour un mouvement qui n’a pas encore deux ans ! On ne cède pas à l’abattement. Mais il faut dire les choses avec lucidité. Jean-Luc Mélenchon a ainsi eu raison de dire que Macron avait gagné la première manche. Sinon, vos propos ne sont plus en rapport avec la réalité. Les gens vont se dire : «Il est perché sur son nuage.» Nous, on dit les choses telles qu’elles sont. Le faire, ce n’est pas se décourager, c’est au contraire chercher les solutions pour avancer.

Beaucoup de personnalités à gauche estiment que Mélenchon a encore la main mais qu’il a refusé le dialogue, qu’il aurait pu créer une coalition aux législatives et qu’il a fermé la porte…

Ils se trompent. Même si on le faisait, si on additionne les voix d’EE-LV, du PCF et des socialistes, c’est à peine 10 % des voix. Avec La France insoumise, on ferait 25 % ou 30 %. Ce n’est pas ainsi que l’on crée une dynamique majoritaire.

Comment faire pour devenir majoritaire ?

Pour être majoritaire, la priorité n’est pas de rassembler les sigles mais de permettre des axes de remobilisation populaire. Il faut proposer des réponses concrètes aux problèmes que les citoyens rencontrent. Non pas des compromis bizarres pour trouver des points d’équilibre entre appareils. Si par exemple on avait pu monter une alliance aux législatives, qu’est-ce qu’on faisait ? Quelle position sur le nucléaire, sur la sortie des traités européens, sur le revenu universel ? On ne pouvait pas dire : on a confronté nos projets pendant la campagne présidentielle et au lendemain de cette campagne, tous les désaccords qu’on a portés devant le pays n’existent plus, on est tous d’accord. Ça n’a pas de sens. Ce n’est pas ainsi que vous pouvez remobiliser des citoyens qui ne vont plus voter.

Cette stratégie sera-t-elle respectée pour les européennes ?

Nous avons une stratégie pour en finir avec les dogmes qui tuent l’idée européenne. Nous proposons dix mesures pour refonder l’Union. C’est le plan A. En cas de refus, on fait quand même avec les pays qui sont d’accord. C’est le plan B. Nous travaillerons avec tous ceux qui partagent cette stratégie. Mais pas question d’écrire en gros sur nos affiches «on va changer d’Europe» pour rentrer dans le moule une fois au pouvoir. Les Français ont déjà donné. Cela créerait encore beaucoup de désillusion.

Même si c’est Emmanuel Maurel qui gagne l’élection à la présidence du PS ?

Ce n’est pas une question d’individus mais d’orientation politique. Clairement, il porte une orientation qui est en rupture avec la politique mise en place lors du mandat précédent. Donc s’il devait l’emporter, cela changerait les paramètres de la situation politique. Il y aurait peut-être des convergences à envisager. Mais pas de tambouilles, de la clarté et de la cohérence !

Comment voyez-vous les nationalistes en Corse ?

Lors des législatives, trois députés autonomistes ont été élus sur quatre. Vous pouvez défendre la République une et indivisible mais au bout d’un moment, il faut tenir compte de la réalité. Il y a aujourd’hui une aspiration à la souveraineté en Corse. Car finalement, quand vous avez le sentiment que votre aspiration à peser sur votre vie ne réussit pas à l’emporter à l’échelle nationale, vous le répercutez à un échelon plus réduit, sur lequel vous vous dites que vous allez avoir votre mot à dire. La progression autonomiste est liée au sentiment croissant dans la population que les gens ne sont pas considérés et que leur voix ne pèse plus. C’est le symptôme du «dégagisme» et de la crise politique.

Pendant la campagne, vous n’avez pas utilisé le mot gauche, que vous considériez abîmé par Hollande. Maintenant qu’il s’est éloigné de la politique, vous allez le reprendre ?

La question n’est pas comment on se qualifie ou on se définit. Bien sûr, notre programme est de gauche, il n’y a pas besoin de le dire. Mais est-ce qu’il suffit de répéter «gauche, gauche, gauche» pour que les citoyens s’intéressent à nous ? Bien sûr que non. Notre programme politique s’adresse à tous. Il n’est pas d’extrême gauche, contrairement à ce qu’essaient de faire croire ceux qui veulent nous marginaliser. C’est un projet central, défenseur de l’intérêt général et au cœur des aspirations populaires.

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