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Libération

Les failles de la construction sur argile

par Sylvestre Huet
publié le 13 septembre 2003 à 0h58

La fissure du pavillon ? «C'est la faute aux sécheresses», explique Marc Vincent du BRGM ­ Bureau des recherches géologiques et minières. Foi de géologue : on ne construit pas impunément sa maison sur un sol argileux en ces temps d'alternances brutales entre pluies et ciel bleu. Comptes d'assureurs : depuis que ce sinistre fait partie des catastrophes naturelles indemnisées (loi Barnier de 1989), il a coûté trois milliards d'euros en dix ans (1993-2003) selon la Caisse centrale de réassurance.

C'est le deuxième risque naturel en termes de coût, derrière les inondations et pour près de 300 000 maisons, jusqu'à 5 500 recensés en Haute-Garonne, le département record. Neuves comme anciennes : «J'ai vu des maisons de plusieurs siècles fissurées en Dordogne ou dans le Gers», raconte Marc Vincent.

S'il est difficile de guérir, on peut au moins prévenir, construire les nouvelles maisons de manière à limiter les risques. Mais où ? D'ici fin 2004, les géologues du BRGM, sous la houlette du géologue, auront terminé la cartographie des 33 départements à risques.

Tout commence avec la propriété de certaines argiles à se comporter comme une éponge. Absorbant l'eau quand elle survient, et la laissant s'évaporer sous le Soleil. Humide, l'argile se fait plastique et malléable. C'est d'ailleurs sa forme favorite sous le climat tempéré, frais et humide l'hiver, de l'hexagone. Sèche, elle devient dure et cassante. Surtout, son volume varie. Mais pas uniformément : l'assèchement forme des fissures, à l'image de ce que l'on voit sur un fond de mare asséchée.

Sur les deux premiers mètres de sol, cela se traduit par des mouvements, lents mais inexorables, latéraux et verticaux. Ces mouvements de yo-yo, baptisés «retraits/gonflements» par les géologues, pires qu'un simple tassement, peuvent aller jusqu'à dix centimètres. Petit à petit, ils fragilisent les murs, ouvrent les fissures. D'où l'effet dévastateur, souvent à retardement, des sécheresses de 1976, 89-91, 96-97... Et probablement de cet été 2003.

Méthode. L'histoire des cartes de risques démarre en 1995. Le BRGM se fait la main sur le département des Alpes-de-Haute-Provence, avec un zoom sur la commune de Manosque. «A l'échelle du département, on se contente des données géologiques existantes. Sur la commune, on y ajoute des sondages», explique Marc Vincent. Deux ans plus tard, ce sont les sociétés d'assurances qui lui demandent d'établir une carte des risques pour les Deux-Sèvres. Il améliore la méthode, sur des cartes aux 1/50 000. Elle consiste à croiser des données purement géologiques avec la densité des sinistres déjà répertoriés par les assurances ainsi que les taux d'urbanisation. Etendue à l'Essonne, la démarche séduit, et décision est prise, à la demande du ministère de l'Environnement, de traiter les 33 départements les plus concernés (1). «Ces cartes seront publiques, accessibles, d'ici la fin de l'année sur un site Internet du BRGM», précise le géologue.

Prévention. Fort de ces cartes, les préfets peuvent demander l'élaboration d'un plan de prévention des risques communal, à l'échelle 1/10 000, sur lequel il sera possible de tracer des zones réglementaires. Lors de la délivrance du permis de construire, les maires pourront ainsi exiger une démarche de précaution.

Le constructeur pourra réaliser une étude géotechnique pour vérifier la présence d'argile gonflante sur sa parcelle. Ou prendre d'emblée les mesures permettant de s'affranchir du risque : des fondations plus profondes (de 0,80 à 1,20 m), s'interdire tout sous-sol partiel, éviter de planter des arbres à proximité et maîtriser les eaux de ruissellement. Rien de très coûteux. Quant aux maisons déjà construites, il est encore possible de couper les arbres trop proches ou de s'assurer que les eaux sont bien canalisées.

(1) Cartes réalisées : Deux-Sèvres, Essonne, Seine-Saint-Denis, Gers, Vienne, Dordogne, Lot-et-Garonne, Tarn-et-Garonne, Indre, Haute-Garonne, Nord et Val-de-Marne.

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