Sculpture et lumière : la nouvelle conférence de l’Aumônerie de l’Ecole du Louvre

       Le mardi 20 février, pour une nouvelle conférence, l’Aumônerie de l’Ecole du Louvre a invité Antoinette Le Normand-Romain, conservatrice générale du Patrimoine, ancienne directrice de l’INHA et spécialiste du patrimoine français du XIXe siècle. Centrée sur la sculpture, elle poursuit sur cette idée directrice de la lumière.

La perception de la sculpture par la lumière

       Le propre de la sculpture est d’être un objet réalisé en volume, et donc tridimensionnel. Nous pourrions également affirmer que la sculpture n’a pas pour fonction de représenter la lumière. Nous sommes à l’inverse de la peinture dont la démarche est active car elle nous montre une image qui est déjà le fruit du travail optique de notre œil, une interprétation de notre environnement. La sculpture, quant à elle, est passive. Elle attend notre regard, elle est présente dans notre environnement et se doit d’être vue sans intermédiaire, le contact avec l’image est direct. La notion de vision et de point de vue est donc essentielle. Par ailleurs, la vision est le fruit de rayons de lumière atteignant la rétine, la lumière est donc nécessaire pour voir un objet et elle est d’autant plus essentielle en sculpture pour appréhender les reliefs. Elle crée des jeux de volume et de surface, elle est indispensable pour faire vivre la sculpture. Nous pourrions presque dire pour la faire revivre dans le cas du XVIIIe siècle. Hubert Robert, avec Les Découvreurs d’antiques, parvient magistralement à rendre l’émotion que ces individus ont dû ressentir en mettant au jour, à la lumière vacillante des torches, ces sculptures antiques oubliées dans les entrailles de Rome.

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Les Découvreurs d’antiques, par Hubert Robert

Cette peinture d’Hubert Robert nous montre qu’avant d’aborder la question de la création de l’œuvre et donc du regard de l’artiste, il est nécessaire de nous questionner sur le regard du spectateur. Il est avéré qu’au XIXe siècle, les visites de nuits des collections de sculptures étaient très appréciées par les artistes et les amateurs d’art, témoignant d’un intérêt pour l’effet de dramatisation de la lumière par des jeux de clair-obscur, de clarté et de pénombre. C’est ce que nous souligne cette visite aux flambeaux du Louvre par le couple impérial nous montrant le Laocoon inondé de lumière alors que la foule reste dans une semi obscurité.

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Visite aux flambeaux faite par Napoléon Ier et l’impératrice Marie-Louise au Louvre, dessin de Benjamin Zix

Un autre exemple intéressant de cette importance de la vision du spectateur sur la sculpture via la lumière est celui du Persée d’Antonio Canova. L’artiste avait réalisé cette œuvre pour la comtesse Tarnowska et lui avait écrit une lettre dans laquelle il lui recommandait de placer dans la cavité aménagée au sein de la tête de Méduse, une bougie… Une démarche atypique mais qui montre l’importance que le sculpteur lui-même peut accorder à la lumière et à la vision que le spectateur doit avoir de la sculpture. L’effet de dramatisation était bien sûr recherché par Canova. Une préoccupation identique a parfois été proposée pour une œuvre des collections françaises : La Petite Châtelaine, par Camille Claudel, un buste qui présente aussi une cavité à sa base.

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       Cet exemple de Canova permet d’introduire une notion essentielle : la vision de l’artiste sur sa sculpture et son rapport à la lumière. Cette préoccupation est ancienne car les sculpteurs ont toujours cherché à utiliser au mieux la lumière, dès l’Antiquité, comme en atteste les reliefs en creux de l’ancienne Egypte. Jusqu’à l’époque baroque, il existe une longue filiation d’artistes pour qui la lumière fut essentielle. Ainsi, Auguste Rodin dit, après avoir visité la cathédrale du Mans : « Les gothiques ont sculpté l’ombre comme les Grecs ont sculpté la lumière ». Ce qui nous amène, bien évidemment, à Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin, sans doute l’un des plus grands maîtres s’agissant de l’usage de la lumière. En effet, tout au long de sa carrière, Bernin s’est employé à ne pas concevoir ses œuvres comme des pièces isolées mais comme s’inscrivant dans un ensemble et c’est là que la lumière joue un rôle majeur. Nous pourrions citer nombre d’œuvres du Bernin pour illustrer le travail des surfaces effectué pour accrocher la lumière mais l’œuvre la plus éloquente est bien sûr L’Extase de sainte Thérèse, de l’église Santa Maria della Vittoria à Rome, pour la chapelle Cornaro. Ici, Le Bernin a recréé une source lumineuse au-dessus du groupe l’inondant de lumière mais laissant le reste de la chapelle dans une demi pénombre. A nouveau, c’est l’effet théâtral qui est ici frappant. Cependant, nous aurions tort de n’y voir qu’un effet de mise en scène car cette lumière descendante renvoie aussi à la grâce divine qui pénètre la sainte, tout comme la flèche de l’ange. Cette lumière associée à celle des cierges devaient donner un effet tout à fait saisissant appelant à la piété.

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Dans cette longue filiation, les sculpteurs du XIXe siècle ont toute leur place. Deux d’autre eux, Auguste Rodin et David d’Angers, sont particulièrement intéressants de ce point de vue. Tous deux préconisent l’étude et la création d’une sculpture par la lumière. Selon eux, une telle démarche permet de distinguer tous les profils successifs de l’œuvre et leurs défauts éventuels. De même, c’est par le dessin que les sculpteurs appréhendent aussi la taille ou le modelage mais aussi les effets de la lumière. Dès ses origines, l’art graphique a été associé à la lumière, c’est ce que nous enseigne la légende de Dibutades, narrée par Pline : la fille de ce potier de Sicyone avait imaginé de tracer avec du charbon de bois les contours du profil de son amant projeté sur une muraille par la lumière d’une lampe. Ce mythe est à mettre en lien avec l’usage que Rodin fait du dessin avec, par exemple, cette représentation de l’Âge d’airain sur papier vélin, conservée au musée Rodin où le sculpteur semble garder le souvenir de ces études par la lumière.

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Il en va de même pour le Balzaccommandé par la Société des Gens de Lettres et qui fit scandale lors de son exposition en 1898. Les prises de vue du photographe américain Edward Steichenfurent très admirées de Rodin lui-même qui déclara : « C’est le Christ marchant dans le désert. Vos photos feront comprendre au monde mon Balzac. ». Ces photographies saisissantes, faites uniquement d’ombre et de lumière utilisent les jeux de clair-obscur à la manière d’un sculpteur.

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En poursuivant sur Rodin, nous pouvons aussi prendre en guise d’illustration cette réflexion qu’a engagée le sculpteur sur l’histoire de la sculpture en confrontant la sculpture antique et la sculpture de la Renaissance. Pour lui, la première est faite d’équilibre et de grâce, la lumière la frappe directement en grandes plages lisses. La seconde est faite de jeux de lignes brisées dans un corps ramassé et mouvementé créant des zones d’ombre à l’effet dramatique. La lumière est donc plus qu’un acteur de la vision, c’est aussi un facteur permettant de comprendre la pensée d’un sculpteur, la genèse de ces œuvres. Cette vision de la sculpture renaissante se ressent par exemple dans l’Adam qui illustre très bien ces propos d’Aristide Maillolsur l’art du maître : « Rodin lui, ce qui l’intéresse, c’est l’ombre (…). C’est un homme du nord, s’il met un bout de lumière, c’est pour nous attirer dans l’ombre. » A l’inverse, Aristide Maillol, homme du sud, semble à la fois s’opposer et compléter la démarche de Rodin. Lui aussi cherche la lumière et s’intéresse à son effet sur la sculpture mais sa démarche est tout autre, il ne cherche pas la lumière comme un moyen de souligner l’ombre, il inonde ses sculptures de lumière. Nul angulosité ou contorsion, ses sculptures sont fluides, ouvertes au Soleil. C’est ainsi que Maillol dit : « Ma sculpture résiste à la lumière »

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La Méditerranée, par Aristide Maillol

Nous voyons donc que, de l’Antiquité à l’époque contemporaine, la lumière a toujours été utilisée par les sculpteurs pour mettre en valeur leurs œuvres, pour qu’elles soient signifiantes, pour souligner leur sensualité ou leur mystère.

Le lien avec la peinture et le « débat du Paragon » : rivalité ou émulation ?

                Dans cette quête de lumière, il existe une question essentielle qui touche à la rivalité entre la sculpture et la peinture, aussi connue sous le terme de « débat du Paragone ». Dans un premier temps, cette rivalité s’est manifestée par une volonté des peintres d’imiter la sculpture et notamment la possibilité qu’elle offre de visualiser en trois dimensions un corps. C’est ce que nous montre, par exemple, le peintre espagnol du XVIIe siècle, Francisco de Zurbarán dans son tableau Le Christ en croix. Par les effets de lumière que le peintre parvient à rendre sur le corps du Christ, celui-ci acquiert un aspect sculptural et fait parfaitement illusion.

Cependant, il apparait qu’au XIXe siècle, un changement s’opère puisque c’est à présent le sculpteur qui s’inspire des effets picturaux. En ce sens, l’art de Rodin est à nouveau des plus parlants, et une de ses œuvres en particulier qui n’est autre que la Porte de l’Enfer. La date de 1900 est ici fondamentale car elle marque la seule exposition de la porte du vivant de Rodin. Celui-ci en décide la tenue dans un pavillon, dit Pavillon de l’Alma s’inspirant des orangeries du XVIIIe siècle par la multiplication de larges baies. Ces dernières offrent une lumière continue sur la porte, en changeant l’aspect en fonction des heures du jour. En outre, Rodin décida d’exposer la porte sans figure, offrant au public la vision d’une œuvre abstraite à la surface d’aspect magmatique. C’est deux éléments ne sont pas sans rappeler la démarche effectuée par les peintres impressionnistes et en particulier Claude Monet dont Rodin admirait la série sur la cathédrale de Rouen.

La sculpture en architecture : la fonction de la lumière

       Nous avons vu dans le cas du Bernin l’importance de la lumière naturelle associée à celle des cierges. Cette notion de combinaison entre la lumen (la lumière divine) et la lux (la lumière terrestre) va devenir essentielle dans les édifices religieux qui font suite au Concile de Trente. Dans ces édifices, la sculpture va aussi jouer un rôle primordial, ainsi lumière et réalisations sculptés vont à nouveau se rencontrer au service d’un art grandiose et total.

Nous l’avons vu à Rome mais cela est aussi vrai en France et à Paris notamment comme en témoignent deux églises des XVIIe – XVIIIe siècles. Tout d’abord, l’église Saint-Roch est particulièrement remarquable pour sa chapelle du Calvaire. Très transformée, aujourd’hui, la chapelle ne correspond plus à la mise en scène du XVIIIe siècle. Celle-ci faisait un usage très particulier de la lumière zénithale qui n’est pas sans rappeler la chapelle Cornaro à Rome. Cette lumière qualifiée de « céleste » par Dezalliers d’Argenville illuminait le Christ crucifié de Michel Anguier, dans un décor imaginé par Etienne-Maurice Falconet. A nouveau, cette scénographie est des plus théâtrales et met en scène le mystère divin, celui de l’Incarnation. A Saint-Roch, la lumière est d’autant plus primordiale que la chapelle du Calvaire succède à la chapelle de la Vierge visible depuis la nef, elle permet donc de scander les différents espaces. Nous pouvons aussi citer une seconde église parisienne où la lumière est centrale, l’église Saint-Sulpice. Ici, à nouveau, l’éclairage zénithal permet la mise en valeur de la Vierge à l’Enfant sculptée par Jean-Baptiste Pigalle, au sein d’une chapelle de forme elliptique restaurée par Charles de Wailly dans les années 1770.

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La chapelle du Calvaire à Saint-Roch au XVIIIe siècle

Hors de Paris, nous pouvons prendre l’exemple du baptistère de Guimillau, en Bretagne. Celui-ci est remarquable pour un détail qui est l’ouverture pratiquée dans le baldaquin exactement dans l’axe du vitrail, permettant le passage de la lumière qui éclaire le baptistère. Dans ce cas aussi, la symbolique divine est très forte car cette lumière céleste vient sur le baptisé à la manière de l’Esprit-Saint, au moment de son entrée dans la communauté des fidèles.

Conclusion

       La lumière a donc toujours été une notion centrale dans l’histoire de la sculpture. Elle touche à tous ses aspects : sa genèse et donc le regard de son créateur, la vision du spectateur, son rapport à l’espace, ce qui est particulièrement vrai en architecture et même sa relation avec les autres arts et notamment la peinture. Cette problématique a questionné les artistes, a suscité débats et interrogations depuis des siècles… Et aujourd’hui, quand est-il ? A l’heure de la photographie et de l’éclairage artificielle, sommes-nous libérés de ce qui pourrait sembler une tyrannie de la lumière sur la sculpture ? Si nous considérons les questions multiples que posent l’éclairage dans les musées et la complexité des campagnes photographiques quand elles touchent à la sculpture, nous pouvons aisément trancher en affirmant que lumière et sculpture sont à jamais indissociables.

Ecrit par Maël Vandewalle

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