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COVID-19 : la limule menacée?

En pleine pandémie de COVID-19, l’utilisation d’un test à base de sang de limule pour vérifier l’innocuité des vaccins met en lumière notre dépendance face à cet étrange animal. Mais une découverte en science génétique pourrait offrir un répit à cette espèce vulnérable.

Deux limules

La limule a une carapace qui rappelle la forme d'un bouclier.

Photo : Radio-Canada

La limule est apparue sur Terre il y a plus de 400 millions d’années, bien avant les dinosaures. En anglais, on l’appelle horseshoe crab, mais ce n’est pas un crabe. Elle appartient plutôt à la famille des araignées.

Le secret de l’incroyable longévité de cette espèce se trouve dans son sang. Un sang bleu aux propriétés immunitaires incomparables.

C'est un sang très particulier, qui ne contient pas de globules blancs comme chez les humains, explique le professeur d'océanographie Jean-Éric Tremblay.

L’évolution a doté les limules d’un sang qu'on appelle de l’hémolymphe. Ce fluide contient des cellules spécialisées, les amébocytes, qui les protègent des attaques externes. Lorsque les amébocytes entrent en contact avec des bactéries, ils provoquent une réaction de coagulation.

Ce n'est pas la bactérie en tant que telle qui est nocive. C'est ce qu'on appelle les endotoxines qui sont sécrétées par la bactérie. Et c'est pour empêcher ces endotoxines de se propager dans l'animal que cette réaction-là va se produire.

Une citation de Jean-Éric Tremblay, professeur d’océanographie, Faculté des sciences et de génie, Université Laval
Portrait de Jean-Éric Tremblay.

Jean-Éric Tremblay est professeur d'océanographie.

Photo : Radio-Canada

COVID-19 : tout sur la pandémie

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Une représentation du coronavirus.

Les limules à la rescousse des humains

Au milieu du vingtième siècle, des chercheurs qui étudiaient les limules ont compris qu’elles pourraient nous venir en aide sur le plan médical.

On s'est posé la question : "Est ce qu'on peut utiliser les propriétés spéciales du sang de la limule comme test, comme diagnostic pour détecter la présence de substances bactériennes, donc des endotoxines, dans différents médicaments, différents vaccins?"

Une citation de Jean-Éric Tremblay, professeur d’océanographie, Faculté des sciences et de génie, Université Laval
Une rangée de limules disposées sur des supports. On extirpe le sang de couleur bleue, qui s'accumule dans des récipients. Des employés de laboratoire procèdent à l'opération.

Le sang des limules est extrait en laboratoire.

Photo : Charles River Labs

Les recherches ont mené au développement d’un test à base de lysat d’amébocytes de limules, le test LAL. Ce procédé a été officiellement approuvé en 1977. Il est alors devenu la référence sur la planète pour assurer l’innocuité des médicaments, des vaccins et des appareils qui entrent en contact avec le sang humain.

Chaque année aux États-Unis, environ 500 000 limules sont capturées pour servir à la fabrication du test LAL. Ces limules sont transportées dans des laboratoires où on prélève près du tiers de leur sang avant de les relâcher vivantes dans l’océan.

Le problème, c’est que selon certaines études, de 15 % à 30 % d'entre elles meurent durant le processus. De plus, une fois remises à l’eau, les limules seraient souvent désorientées et auraient de la difficulté à se reproduire.

Une limule sur le sable.

La limule pond ses œufs sur les plages.

Photo : Radio-Canada

Aujourd’hui, en pleine pandémie de COVID-19, cette forme d’exploitation de la limule inquiète de plus en plus de scientifiques.

Le test LAL est utilisé dans toute la chaîne de production des vaccins et on sait en ce moment, avec la crise sanitaire, que la production de vaccins à l'échelle mondiale va avoir augmenté de façon très significative.

Une citation de Jean-Éric Tremblay, professeur d’océanographie, Faculté des sciences et de génie, Université Laval

Une espèce menacée

La pression sur cette espèce qui nous fournit de grands services est tellement forte qu’on craint maintenant pour sa survie.

En Asie, les limules sont sérieusement menacées. C'est qu'en plus de servir la science, elles sont consommées par les populations locales et leur habitat ne cesse de se dégrader.

Sur la côte atlantique des États-Unis, l’espèce est considérée comme vulnérable. Jusqu’à 75 % des stocks historiques de limules auraient disparu. Chez nos voisins du sud, les limules ont d’abord été prélevées par millions pour servir de fertilisant agricole.

Des milliers de limules rassemblées par les pêcheurs sur un quai.

Des milliers de limules rassemblées par les pêcheurs à Bowers Beach, en 1928.

Photo : Delaware Public Archives

Aujourd’hui la pêche commerciale constitue la principale cause de mortalité de l’espèce. Près d’un million de limules sont capturées annuellement et servent d’appâts pour d’autres espèces plus lucratives.

Un rôle clé dans les écosystèmes

Le biologiste américain Larry Niles est préoccupé. Il a consacré sa carrière à la préservation des limules de la baie du Delaware.

En raison de la COVID-19, la demande pour le sang de limule va monter en flèche et cela entraînera une augmentation significative de la mortalité des limules, précise Larry Niles.

M. Niles sur les dunes près de la plage.

Le chercheur Larry Niles.

Photo : Radio-Canada

Selon lui, les conséquences pourraient être dramatiques. Comme les œufs des limules sont très riches en lipides, ils sont essentiels à la survie de nombreuses espèces de poissons et de plusieurs oiseaux migrateurs, dont certains sont classés en voie de disparition.

Les oiseaux sur la plage.

Des bécasseaux maubèches de la sous-espèce rufa.

Photo : Radio-Canada

Lorsqu’on demande à Larry Niles ce qui devrait être privilégié entre la survie des limules ou la santé des humains, sa réponse est claire : Nous ne devrions pas dépendre uniquement d’une espèce qui a du mal à survivre. C'est ça l'argument principal.

Une solution de rechange synthétique

Une solution pour sortir de notre dépendance aux limules a peut-être été trouvée. Les progrès de la génétique ont permis d’isoler le gène de la limule qui est responsable de la production du facteur chimique contenu dans les amébocytes et qui permet de détecter les endotoxines. Cette perle rare se nomme le facteur C.

Des entreprises biomédicales, comme la française bioMérieux, s’en servent désormais pour produire un test synthétique, le rFC. Un procédé qui ne fait plus appel au sang des limules.

Il y a un risque en termes de sécurisation de cette matière première. D'où l'intérêt d'avoir une alternative qui ne fait pas appel à cette source naturelle. Qui plus est, c'est dans l'air du temps, c'est-à-dire que les industries pharmaceutiques veulent s'affranchir de sources biologiques.

Une citation de Gregory Devulder, biologiste, bioMérieux

Ce nouveau test à partir du facteur C Recombinant de limule a été autorisé en Europe en 2016. Mais aux États-Unis, on ne permet toujours pas son utilisation à grande échelle.

L’heure des choix est peut-être arrivée?

On dépend de la survie de la limule, dans le fond, pour le test LAL. Et la possibilité d'avoir maintenant une alternative de synthèse pourrait nous permettre en grande partie de nous affranchir de ce test.

Une citation de Jean-Éric Tremblay, professeur d’océanographie, Faculté des sciences et de génie, Université Laval

Le reportage de Maxime Poiré et Jean-François Michaud sera diffusé à l'émission Découverte dimanche à 18 h 30 sur ICI Radio-Canada Télé.

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