Sujet principal de ses œuvres théâtrales figurant des personnages égorgés ou poignardés sur fond sombre, le crime faisait également partie de la vie du Caravage, ponctuée par de réels coups de lame… Un parcours tranchant qui commence dès son arrivée à Rome. Michelangelo Merisi da Caravaggio est alors âgé d’environ 18 ans et vit modestement. Mais son talent lui assure rapidement des protecteurs et des clients puissants comme le cardinal Francesco Maria del Monte ou son voisin, le marquis et banquier génois Vincenzo Giustiniani. Peut-être grisé par ce succès fulgurant, et déjà fier de nature, le Caravage se forge vite une réputation d’homme sanguin, susceptible et bagarreur. Un cocktail d’autant plus explosif que le peintre fréquente assidûment les tavernes et s’est mis à porter l’épée comme les membres de l’ancienne noblesse, prompts à dégainer pour défendre leur honneur…
Souvent mêlé à des rixes, le Caravage finit au moins onze fois au tribunal et plusieurs fois en prison, dont il sort grâce à ses relations. Les archives judiciaires brossent de lui un portrait piquant. Le 19 novembre 1600, un homme porte plainte contre l’artiste de 29 ans. Motif ? Coups et blessures au bâton et à l’épée ! En 1601, il blesse un garde du château Saint-Ange. Le 28 août 1603, un peintre rival, Giovanni Baglione (qui rédigera sa biographie en 1642) le poursuit pour diffamation, le Caravage ayant écrit et diffusé à son sujet des poèmes grossiers, truffés d’insultes carabinées ! Ce qui lui vaut un emprisonnement, finalement abrégé suite à l’intervention de l’ambassadeur de France.
Plus incongru, le 24 avril 1604, un garçon d’auberge lui reproche de lui avoir lancé un plat d’artichauts brûlants à la figure ! Quelques mois plus tard, le peintre est incarcéré pour insulte à la milice urbaine, puis arrêté le 28 mai 1605 pour port d’arme illégal. En juillet 1605, le voilà accusé par un notaire de l’avoir blessé à la tête d’un coup d’épée. En cause ? L’honneur de la belle Lena Antognetti, une courtisane qui a posé pour Caravage à plusieurs reprises, et que son interlocuteur a qualifiée avec mépris de prostituée, ajoutant qu’elle faisait le trottoir sur la piazza Navona ! L’affaire est grave : le multirécidiviste se réfugie à Gênes pendant deux mois, jusqu’au retrait de la plainte.
Condamné à mort par contumace par le pape, l’artiste est en cavale.
Dès son retour à Rome, sa logeuse l’accuse d’avoir démoli ses volets à coup de pierres. Excédée, elle venait de le mettre à la porte pour six mois de loyers impayés, et pour avoir troué son plafond à des fins d’éclairage artistique ! Mais les frasques du Caravage ne s’arrêtent pas là. Entre autres, l’historien de l’art américain Felix Witting rapporte qu’il aurait, « par jalousie », « menacé gravement le peintre Guido Reni », et même (raconte-t-on dans divers ouvrages anciens), « envoyé un tueur à gages sicilien pour blesser au visage le peintre Niccolò Pomarancio », qui avait réussi à obtenir la commande d’une grande fresque !
Le 28 mai 1606, les choses se corsent. Alors que toute la ville fête le couronnement du pape Paul V, le Caravage, accompagné d’amis, se querelle en pleine rue avec un jeune noble à la réputation sulfureuse, Ranuccio Tomassoni… et le tue. Le conflit ayant dégénéré en duel à quatre contre quatre, le peintre lui aurait mortellement transpercé la cuisse. Selon certains, le différend aurait eu pour objet une prostituée du nom de Fillide. Pour Baglione, il s’agit d’une partie de jeu de paume – une dette de match de 10 écus, précise en 1672 un autre biographe, Giovanni Bellori. En résumé, une broutille !
Lui-même blessé, le Caravage quitte Rome en catastrophe. Condamné à mort par contumace par le pape, l’artiste est en cavale. Hantés par ce drame, les tableaux qu’il peint dans sa fuite paraissent plus sombres que jamais. À Naples, il réalise un autoportrait macabre en se prenant lui-même comme modèle pour représenter la tête tranchée de Goliath. Traqué par les agents du pape, il poursuit sa fuite à Malte, où il peint un autre tableau surprenant, La Décollation de saint Jean-Baptiste, qui évoque étrangement son affaire romaine. La scène religieuse représentée prend l’allure d’un fait divers sordide : dans la cour d’une prison, saint Jean-Baptiste, blessé à la gorge par une épée qui gît non loin, est maintenu au sol par son assassin qui s’apprête à l’achever avec un poignard. Autre détail glaçant : le peintre inscrit sa signature en lettres rouges avec le sang s’écoulant de la gorge de la victime…
En décembre 1608, le Caravage est emprisonné au fort Saint-Ange de Malte. Les chevaliers de l’Ordre, qu’il venait de rejoindre avant d’en être radié brutalement, auraient-il découvert son passé criminel ? Le peintre se serait alors évadé en escaladant de nuit les murs de la prison pour se réfugier en Sicile, puis de nouveau à Naples en 1609, où il aurait été victime d’une tentative de meurtre.
En 1610, le Caravage tente de regagner Rome où le pape s’apprête à signer sa grâce. Mais, après avoir raté son bateau, le peintre fait un malaise dans le petit port italien de Porto Ercole. En proie à un délire et à une forte fièvre, il est transporté dans un hôpital voisin et succombe le 18 juillet, à l’âge de 38 ans. Insolation, paludisme, meurtre, empoisonnement au plomb contenu dans sa peinture… De nombreuses hypothèses ont été avancées sur la cause de son décès. Jusqu’à ce que son squelette soit finalement exhumé en 2010 de l’ancien cimetière de l’hôpital – diverses analyses scientifiques et comparaisons d’ADN menées par les professeurs Michel Drancourt et le désormais célèbre Didier Raoult ayant permis de l’identifier en 2018… et de conclure que le peintre serait mort des suites d’une septicémie à staphylocoque doré. Conséquence d’une infection osseuse, elle-même due à une blessure à la jambe survenue quelques jours auparavant, lors d’une bagarre à Naples !
"Vies des peintres, des sculpteurs, des architectes et des graveurs entre les papautés de Grégoire XII, de 1572 à Urbain VIII"
Par Giovanni Baglione
1642
"Vie des peintres, sculpteurs et architectes modernes"
Par Giovanni Pietro Bellori
1672
"Les passages à l’acte dans la vie et l’œuvre du Caravage"
Par Alain Dervaux
Article publié dans L’Information psychiatrique • 2006/6 • volume 82 • pp. 495-501
"Did Caravaggio die of Staphylococcus aureus sepsis ?"
Par Drancourt M., Barbieri R., Cilli E, Gruppioni G., Bazaj A., Cornaglia G., Raoult D.
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