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"Matières en lumière" sert au MCB-a de Lausanne la sculpture sur un plateau

"Le griffu" de Germaine Richier. 1952.

Le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne (MCB-a) nous sert depuis le 2 mars la sculpture sur un plateau. Au propre comme au figuré. L’espace d’exposition du second étage a été laissé d’un seul tenant. Tout y tourne autour de l’immense cercle formé par une installation de Richard Long. Le Britannique joue ici avec du bois noirci. A côté, marbres et bronzes ont l’air de miniatures. Même la cage conçue par Louise Bourgeois! La Française d’Amérique clôt en effet le parcours, laissé libre. Il y a pourtant au mur l’achat effectué par le MCB-a d’une pièce de Kiki Smith. Une trace de la récente présentation monographique ici de l’Américaine. Le dit parcours a commencé avec Auguste Rodin. Le père, grand-père et aujourd’hui arrière grand-père de la statuaire moderne. Les vrais débuts de ce dernier remontent aux années 1880…

Derrière l’exposition se trouve Camille Lévêque-Claudet, conservateur dans l’institution. Un homme à qui l’on doit notamment un August Strindberg peintre ou un Piero Manzoni dans l’ancien bâtiment de la Riponne (1). L’homme a ici travaillé sur un fonds peu connu de l’institution. Plus des collections particulières. Il s’agissait de créer une cohérence à partir d’œuvres au départ très diverses. «La sculpture ne se voit presque jamais montrée seule, et c’est dommage. Mais elle conserve de la peine à trouver son public. Elle souffre de son absence de couleurs, qui la fait apparaître comme un art incomplet. C’est la raison du plateau nu chez nous. L’achromie se trouve compensée par la possibilité offerte au visiteur de tourner autour des pièces. Elles apparaissent alors dans leurs trois dimensions, avec la variété des points de vue.»

Vous êtes donc parti Camille Lévêque-Claudet des œuvres appartenant au musée. - Le MCB-a possède environ 500 sculptures. Il s’agit d’un ensemble important qui doit son noyau aux dons et legs du Docteur Henri-Auguste Widmer. Le Vaudois avait un goût affirmé pour le marbre et le bronze. Il a acquis des créations importantes dès la fin du XIXe siècle. Je pense notamment à un magnifique «Baiser» de Rodin, avec une patine dont il avait demandé à ce qu’elle soit contrôlée par le maître. Ce n’est pas un de ces noirs uniformes, comme on les destine aujourd’hui aux Américains. Cette version rejoint chez nous «L’homme au serpent», qui nous est arrivé en 2015 grâce à un amateur ayant demandé l’anonymat. Une pièce unique. Leur rapprochement permet d’évoquer l’édition de certains sujets par rapport à l’élaboration de pièces en un seul exemplaire.

"Le Baiser" de Rodin, vu de l'autre côté de la position habituelle. Photo MCB-a, Lausanne 2021.

Il n’y avait pas que Rodin ou Degas chez Widmer. - Non, et c’est aussi un des grand intérêts de cet ensemble. Mort en 1939, cet amateur a acquis des œuvres de gens moins connus. Ou ayant peu produit. Il n’y a pas que des vedettes en art! L’histoire choisit. Autant dire qu’elle rejette et qu’elle oublie. Lausanne possède ainsi deux œuvres de Louis-Aimé Lejeune grâce à Widmer. Un artiste intéressant dans les années 1910. La preuve! Le «Met» de New York a acquis alors une pièce de lui dans un grand élan d’enthousiasme. Widmer aimait le Suédois Carl Milles ou le Belge Constantin Meunier comme Aristide Maillol. Il se montrait éclectique dans son classicisme. Mais il reste clair qu’en temps normal, nous allons plus souvent montrer ses danseuses de Degas que ses marbres d’Albert Bartholomé, qui pèsent en plus un poids épouvantable. Il se trouve dans l’exposition des œuvres faisant près de deux tonnes! Les déplacer suppose toute une intendance.

Il y a beaucoup de noms rares dans «Matières en lumière», pour reprendre votre titre. - Certains le sont fatalement dans la mesure où nous possédons d’eux peu de pièces répertoriées. Prenez le cas de Laura B. Goeldlin de Tiefenau. C’est une Américaine de Long Island, venue en Suisse à 18 ans en 1928. Elle y a épousé un Vaudois. L'artiste aura finalement créé très peu de pièces importantes, même si elle est morte à 100 ans au Mont-Pèlerin en 2010. Nous sommes du coup heureux de pouvoir sortir de l’ombre sa «Sapho» de 1943, acquise dans l’année par le musée. Une sculpture unissant bronze et pierre. Il n’y aura jamais d’exposition Laura B. Goeldlin. Il n’y aurait même pas de quoi. Pourtant cette femme mérite de se voir mise en valeur. Sa «Sapho», entre orgasme et désir de mort, me paraît plus qu’intéressante.

Le fonds lausannois ne suffisait cependant pas. - Non, surtout pour les époques plus récentes. Il fallait regarder ailleurs. Nous l’avons fait chez les privés de Suisse romande. Il existe ici comme ailleurs de vrais amateurs de sculpture, qui achètent par coup de foudre. On ne trouve pas chez eux des réalisation anciennes, mais en revanche beaucoup de pièces modernes ou contemporaines. J’ai ainsi trouvé de l’Henry Heerup. Important à mes yeux, ce Danois! A côté de son œuvre «normale», l’homme construisait à partir de déchets, trouvés dans des poubelles. C’est l’inventeur de la «bad sculpture». Il avait l’avantage de travailler très tôt. Nous montrons une pièce de 1945 et une autre de 1951. C’est extraordinaire que ces œuvres soient arrivées en Suisse.

Camille Lévêque-Claudet lors de l'exposition Piero Manzoni à la Riponne. Photo 24 Heures.

Comment l’avez-vous su? - Un musée se doit de construire au fil du temps de bonnes relations avec les collectionneurs. Pour plusieurs raisons. D’abord, ils nous apprennent autant de choses que les universitaires. Ensuite, il ne s’agit pas forcément de spéculateurs. La presse a fait beaucoup de dégâts en ne parlant que de records et de ports francs. Historiquement, la Suisse romande est restée favorable à la figuration bien plus longtemps que les cantons alémaniques. Il n’y avait aucun goût à Genève ou à Lausanne pour les avant-gardes. Celles-ci sont arrivées d’un coup. Il existe donc ici, chez des gens se connaissant souvent entre eux, des réalisations de John Chamberlain, de Louise Nevelson (que défendait Alice Pauli), de Jannis Kounellis, de César, de Louise Bourgeois ou de Richard Long.

Justement, le Richard Long qui rythme «Matières en lumière»… - Il ne s’agit pas franchement d’une découverte. Cette œuvre de 1981 a été exposée pendant un quart de siècle dans ce qui a longtemps formé le temple de l’art contemporain en Suisse. Je veux parler des Hallen für die Neue Kunst, aujourd’hui disparues. Elles se trouvaient à côté du Museum zu Allerheiligen de Schaffhouse. Son propriétaire a été heureux de nous la prêter. L’installer au sol n’est pas facile. Le cercle doit mesurer neuf mètres de diamètre. Il existe un protocole. Il faut néanmoins replacer les branchages dans un bon ordre. Autrement, la pièce ne fonctionne pas. Long l’avait conçue au départ pour le cadre pré-industriel du CAPC de Bordeaux.

Bien que libre, le parcours se décline par thèmes. - La chose permet des rapprochements. Comment autrement mettre les unes à côté des autres les danseuses tirée en bronze de Degas et celles en bois de Jeff Koons, imitées d’un objet kitsch? Elles offrent pourtant la similarité de nous montrer des danseuses ne dansant pas.

Vous avez pendant ce temps laissé des sculptures dans les salles permanentes, dont l’accrochage vient par ailleurs de se voir retouché. - Il est important qu’il y a toujours là un peu de sculpture. Il ne faut pas cloisonner les beaux-arts. Les créateurs passent en plus souvent d’un médium à un autre. Surtout maintenant. Ils touchent un peu à tout. Vous retrouvez cette idée en ce moment dans notre espace Focus, qui présente aujourd'hui René Bauermeister (1930-1985). Le Suisse a passé par la sculpture, la photo et le dessin avant de se consacrer à la vidéo.

(1) Je pourrais aussi citer, toujours à la Riponne, la belle exposition sur la Suisse en temps de guerre avec Giacometti, Germaine Richier et Marino Marini.

Pratique

«Matières en lumière», Musée cantonal des beaux-arts, 16, place de la Gare, Lausanne, jusqu’au 16 mai. Tél. 021 316 34 45, site www.mcba.ch Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 20h. Pas de réservation obligatoire. Attention! Il y a du monde le week-end.