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Un ex-institut financier italien vend un Caravage

Une faillite impose à la Banque populaire de Vicence de se séparer d’une œuvre du prestigieux artiste. Son prix est impossible à établir tant une telle vente est rare

«Le Couronnement d'épines», du peintre Le Caravage, cherche un nouveau propriétaire. — © DR
«Le Couronnement d'épines», du peintre Le Caravage, cherche un nouveau propriétaire. — © DR

Ce Christ maltraité par trois bourreaux est l’interprétation du Caravage d’un des épisodes de la Passion. Le Couronnement d’épines, daté des premières années du XVIIe siècle, est conservé au palais des Alberti à Prato, en Toscane. Et il est désormais en vente. Son propriétaire, la Banque populaire de Vicence, doit se séparer de son patrimoine culturel composé de cette huile sur toile comme de nombreuses autres productions du Tintoret ou de Giovanni Bellini. Cette liquidation doit lui permettre de rembourser ses créanciers à la suite de sa faillite de 2017.

Valeur fixée par le marché

Un «rêve interdit», selon La Repubblica, pourrait se réaliser dès le mois prochain pour les amateurs du peintre italien. Les commissaires chargés de la liquidation des biens de l’institut bancaire attendent des offres d’ici au 28 février à minuit. Dans un premier temps, les éventuelles manifestations d’intérêt ne seront pas contraignantes, précise la presse. Une annonce a été publiée dans le numéro de février d'Il Giornale dell’Arte et dans d’autres revues spécialisées en Angleterre et en France. Le Christ en clair-obscur se partage l’espace publicitaire avec d’autres prophètes et madones de style baroque. Le texte renvoie pour plus de détails vers le site de la liquidation de la banque.

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Or il n’y a aucune indication de prix sur cette page, comme sur l’annonce imprimée. Une telle vente est si rare qu’il est impossible d’en fixer la cote. Le Couronnement d’épines ne sera ainsi pas soumis, comme d’autres tableaux, à une enchère. Sa valeur sera fixée par le marché même. Il s’agit pourtant d’un «bien inestimable», prévient Alessandro Zuccari, professeur d’histoire de l’art à l’Université La Sapienza de Rome. Seul le prix fixé par l’assurance lors d’un prêt d’une telle œuvre peut aider à préciser un chiffre: entre 150 et 200 millions d’euros, selon le spécialiste.

Les créanciers et les épargnants trompés par la banque ne doivent cependant pas placer tous leurs espoirs dans cette seule vente, avertit l’expert. «J’espère que le prix ne sera pas stratosphérique, poursuit-il encore. Et que les potentiels acheteurs prendront en considération aussi les perplexités quant à l’authenticité [de ce Caravage].» Alessandro Zuccari est en effet convaincu que ce Couronnement d’épines n’a pas été peint par le maître italien. Il reconnaît toutefois que des confrères ont un avis opposé. La différence qualitative des traits du Christ et de ceux des bourreaux le porte à croire que plusieurs mains ont en réalité travaillé à cet épisode de la Passion.

Trop de contraintes

La peinture avait toutefois été achetée comme étant un Caravage. Et elle sera vendue comme tel. Et ayant été déclarée comme patrimoine culturel de l’Italie, sa vente est soumise à certaines conditions. Elle ne peut ainsi pas «être déplacée à l’étranger ni même quitter le palais qui l’accueille, détaille Gloria Gatti, avocate spécialisée en droit de l’art et des biens culturels. Elle pourra être achetée individuellement mais ne pourra pas être séparée du reste de la collection.» Ces conditions sont autant de contraintes risquant de limiter le nombre de potentiels acquéreurs. «Qui voudra bien acheter une œuvre devant rester suspendue sur les murs d’une ex-banque? demande Gloria Gatti. Un philanthrope ou quelqu’un voulant embellir sa réputation.» A moins que ce ne soit à «l’Etat, avec le droit de prélation, de l’acquérir», avise La Repubblica.

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Menace vaine du journal, car l’Italie n’en a pas profité pour acheter un autre Caravage en vente récemment. Le Casino dell'aurora à Rome accueille une fresque du peintre, mais ses enchères en janvier dernier ont été désertées. Selon La Stampa, le prix de toutes les œuvres réunies, près d’un demi-milliard d’euros, était «sidéral» et n’a pas même «intéressé Bill Gates ou un sultan du Brunei». «Etablir la valeur d’un immeuble contenant l’unique peinture murale du Caravage, et des chefs-d’œuvre du Guerchin et du Dominiquin, était une entreprise difficile», écrivait en novembre 2021 Il Giornale dell’Arte. Les experts restent ainsi réservés quant au succès de cette nouvelle vente exceptionnelle.