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A Gaza, «au moins, on mourra tous ensemble»

Assiégés et sans espoir, les civils palestiniens de la bande de Gaza craignent une offensive terrestre israélienne. Témoignages

Frappes sur Rafah, sud de la bande de Gaza, 10 octobre 2023. — © IMAGO/Ismael Mohamad / IMAGO/UPI Photo
Frappes sur Rafah, sud de la bande de Gaza, 10 octobre 2023. — © IMAGO/Ismael Mohamad / IMAGO/UPI Photo

Des immeubles détruits, d’autres endommagés, des montagnes de gravats, le centre de Gaza, densément peuplé, est méconnaissable. Il a été pilonné toute la soirée de lundi par l’armée de l’air israélienne, décidée à mettre à genoux les mouvements palestiniens dans l’enclave côtière après quatre jours d’une offensive terrestre inédite et sanglante du Hamas dans le territoire israélien.

«Dans ma rue, ils ont tout détruit, tout», raconte Nour, qui a préféré garder l’anonymat. «Toutes les fenêtres de ma maison ont explosé.» Dans sa famille, lors des bombardements, ils sont sept à s’entasser «dans leur couloir près de la porte d’entrée, l’endroit le plus sûr, explique-t-elle, et si on doit mourir, on mourra tous ensemble». Nour confie ne pas avoir dormi depuis le début des bombardements sur Gaza, il y a plus de 60 heures. Avec ses proches, ils ont préparé «des sacs avec quelques affaires et leurs passeports au cas où ils devraient évacuer».

Notre suivi du mercredi 11 octobre.

Quelques Barbie dans le sac

C’est aussi le cas pour Alaa Ghazal, dans un autre quartier de Gaza City. «Ma fille voulait qu’on mette ses jouets dans le sac, son nouveau maillot de bain aussi, elle ne l’a encore jamais porté», dit Alaa. Elle rit, mais on entend l’épuisement et la peur dans sa voix. «Je lui ai quand même donné un petit sac dans lequel elle a mis quelques Barbie», continue Alaa. Elle fait une pause avant de chuchoter: «Je dois rester forte devant ma fille.»

Ce qui inquiète Alaa comme de nombreux Gazaouis, c’est de ne plus être prévenue en cas de frappe aérienne, de ne pas avoir quelques minutes pour sortir de chez soi et se mettre à l’abri. L’armée israélienne admet à demi-mot avoir remisé sa doctrine de «taper au plafond», cette technique qui veut qu’on prévienne par une première frappe inoffensive les habitants des immeubles bombardés. C’est ce qui vient d’arriver à la belle-famille de son frère. «Ils n’avaient pas été prévenus que plusieurs bâtiments autour de chez eux allaient être bombardés, leur maison a été détruite, dit Alaa. Heureusement, ils n’ont rien. Ils sont venus se réfugier chez nous. Mais nous sommes maintenant dix à la maison.» Le Hamas menace maintenant de tuer un otage israélien retenu à chaque fois qu’une de ces frappes tombe sur la bande.

Lors des débuts de l’offensive du Hamas, on a vu des scènes de liesse dans l’enclave côtière sous blocus israélo-égyptien. La clôture était tombée, un signe de liberté, une victoire en soi. On a vu des journalistes palestiniens filmer des séquences de l’autre côté de la frontière, des jeunes fêter la prise de jeeps israéliennes et humilier des Israéliens pris en otage. Des scènes insoutenables pour les Israéliens, encore plus aujourd’hui, quand on découvre de plus en plus de cadavres tués avec sauvagerie dans les kibboutz aux abords de Gaza.

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«Pas d’électricité, pas de nourriture, pas de gaz»

Cette joie débridée ne pouvait être que temporaire. Alors que les hommes du Hamas se battaient encore à l’intérieur des frontières israéliennes, la riposte de l’Etat hébreu a commencé, furieuse. Les rues se sont vidées, et le nombre de personnes trouvant refuge dans les écoles de l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, ne cesse d’augmenter. Selon les derniers chiffres officiels, 187 500 Gazaouis sont accueillis dans 88 écoles transformées en abri. Elles ont atteint le maximum de leur capacité. Les centres de santé de l’organisation sont mis à contribution pour héberger ceux qui n’ont plus de toit. L’agence précise que 18 de ses bâtiments ont été endommagés dont quatre écoles et huit établissements de santé.

A Gaza City, 10 octobre 2023. — © MAHMUD HAMS / AFP
A Gaza City, 10 octobre 2023. — © MAHMUD HAMS / AFP

Il est devenu difficile de joindre les habitants de Gaza, même au téléphone: la batterie est devenue un bien précieux. Gaza, sous les bombes, est aussi en état de siège. «Pas d’électricité, pas de nourriture, pas de gaz, a déclaré lundi le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant. Nous combattons des animaux et agissons en conséquence.» Mardi, le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme a rappelé qu’un siège total de la bande de Gaza était «interdit» par le droit international humanitaire. «Toute restriction à la circulation des personnes et des biens visant à mettre en œuvre un siège doit être justifié par des nécessités militaires, sinon elle peut constituer une punition collective », précise le Haut-Commissaire aux droits de l'homme Volker Türk.

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«Ma fille me demande pourquoi je ne vais pas lui acheter de gâteau»

Dans le sud de la bande de Gaza, à Khan Younès, Iyad Al Astal se préparait ce mardi soir à entendre de nouveau de fortes déflagrations: «Les habitants du quartier de Al-Sattar-Al-Gharbi, à 600 mètres de chez moi, ont tous été prévenus qu’il y aurait des bombardements massifs, le quartier entier a été alerté!» Lui aussi s’inquiète pour ses enfants. «C’est difficile de les rassurer, ma fille aînée a 8 ans, elle est complètement traumatisée, confie-t-il. Ma cadette a 5 ans, c’était son anniversaire le 8 octobre, depuis chaque jour, elle me demande pourquoi je ne vais pas lui acheter de gâteau, je lui réponds que je le ferai demain.»

Dans une rue de Gaza City, 10 octobre 2023. — © MAHMUD HAMS / AFP
Dans une rue de Gaza City, 10 octobre 2023. — © MAHMUD HAMS / AFP

Iyad et sa famille n’ont plus d’eau. Comme tous les Gazaouis, il se demande combien de temps la situation va durer. Ici, on suit aussi les informations venant de l’autre côté, on sait qu’Israël a mobilisé plus de 360 000 réservistes à la frontière. On craint une probable offensive terrestre, et on ne sait pas ce qui pourrait empêcher Israël de mettre cette stratégie en œuvre. «Malheureusement, je ne crois pas en une intervention de la communauté internationale, soupire Iyad, qui regrette qu’on ne voie pas le point de vue palestinien, elle a réagi lorsque la Russie a attaqué l’Ukraine mais quand il s’agit du droit des Palestiniens, elle ne bouge pas.»