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portrait

Miss au ban

Valérie Bègue. Pendant un an, la polémique a fait rage autour de la reine de beauté réunionnaise coupable de photos olé olé.
par Sabrina Champenois
publié le 30 décembre 2008 à 6h51
(mis à jour le 30 décembre 2008 à 6h51)

Ne pas se fier à son sourire angélique, qui dévoile de ravissantes quenottes couleur ivoire. Cette fille, c'est l'impudeur, la traîtrise et la roublardise réunies, vade retro Satanas! C'est en tout cas ce que martèle Geneviève de Fontenay ad libitum depuis un an. La présidente du Comité Miss France, 76 ans, trouve à l'élue 2008 une «tête de cochonne», ne prononce plus son nom, vomissant des «la Bègue» ou «cette Bègue». Résultat de ce feuilleton Miss Rance, Valérie Bègue n'esttoujours pas éclipsée par l'Obamette qui lui a succédé.

Le premier épisode date du 21 décembre 2007. Ce jour-là, Entrevue publie des photos de la tout juste élue Valérie Bègue : on l'y voit peu vêtue, humide, corps et cheveux, se léchant le doigt, lapant du lait concentré, allongée sur une croix, genre crucifiée. La prise de vues remonte à 2005. Hic : le règlement du concours des Miss France stipule que la candidate ne doit «jamais avoir posé ou s'être exhibée dans des tenues ou poses équivoques, partiellement ou totalement dénudées». GDF demande illico l'abdication de l'impétrante «blasphématoire». Et enfonce le clou à coups de : «Qu'elle y retourne, à la Réunion !» «Je refuse de me promener dans les provinces, dans les communes, escortée d'une fille comme ça.» Exit, donc, et que ça saute. Las, l'excommuniée va soulever une lame de foi, notamment à domicile : les élus Nassimah Dindar, Alain Bénard, Jean-Luc Poudroux et Pierre Vergès vont jusqu'à agiter la menace d'un procès pour «insulte aux Réunionnais et aux Ultramarins» ; l'évêque de la Réunion, Gilbert Aubry, absout Valérie Bègue, qui reçoit jusqu'au soutien de Christian Estrosi, secrétaire d'Etat à l'Outre-mer. Bilan mi-chèvre mi-chou : fin décembre 2007, à l'occasion d'une conf de presse au sommet, le comité Miss France et la société du même nom annoncent ne pas lui retirer son titre, mais le droit de lui interdire de représenter la France dans les concours internationaux de miss et certains galas régionaux.

Un an plus tard, Valérie Bègue est fraîche comme une rose, c'est saisissant. Comme si tout ça avait glissé sur elle telle l'eau sur les plumes du canard. Et la sylphide (1,74 m, 54 kilos) au regard kaki s'enthousiasme : «Je suis ravie, cet entretien sonne la reprise, j'ai tellement envie de me mettre au travail !» Cela fait quinze jours qu'elle n'est plus miss, sa reconversion la préoccupe clairement. «Là, j'ai rendu l'appartement qu'occupe Miss France dans le XVIIe arrondissement, je ne suis plus salariée. Je reste bien entourée et je bénéficie encore de l'impact du titre, mais je sais que je dois maintenant passer à autre chose.» Dans le même temps, elle se montre assez confiante, parle, avec des étoiles dans les yeux, d'une semaine passée à Hollywood où elle a fait «plein de rencontres». Devenir actrice est son objectif annoncé, choisi depuis sa participation au pilote d'une série : «C'est la révélation de cette année ! J'ai adoré jouer, je me suis vraiment amusée.» Une enfant. Seule hardiesse, aux échos jamesbondiens : «On ne vit qu'une fois et je n'ai surtout pas envie d'avoir de regrets.»

Alors, quoi ? Mignonne ou démon ? Jointe au téléphone, Dame Fontenay reste remontée comme un coucou, comme on l'est des blessures assassines : «On lui donnerait le Bon Dieu sans confession, mais elle a un côté pervers, elle est manipulatrice, elle minaude !» Sylvie Tellier, directrice générale de la société Miss France, organisatrice du concours (que d'aucuns disent bien partie pour remplacer GDF) : «Valérie a beaucoup évolué en un an. Au départ, c'est une jeune fille influençable, un peu confuse, mais elle a grandi, et elle s'est révélée très fiable. Elle a notamment compris que l'argent n'est pas le plus important. Elle est aussi touchante, très attachante.»

L'alternative s'avère en fait trop théorique, et trop binaire. Ce qui nous apparaît : Valérie Bègue, fille de métis aux racines multiples, «indiennes, chinoises, malgaches.», qui doit son nom à un aïeul marin breton, tâche avant tout de prendre le meilleur vent. Qui consiste, ces temps-ci, à peaufiner sa respectabilité.

On la voudrait rebelle : celle qui a dit non. Non au diktat sainte-nitouche qui gouverne la sélection des miss : j'ai pas couché, j'ai pas posé à poil, tout ça. Rien du tout. Elle dit «Mme de Fontenay» ou «Geneviève», avec respect, voire contrition. Souligne, grave : «J'ai fait mon mea culpa pour les photos et je comprends qu'elles aient pu choquer, surtout celle avec le lait.» C'est bien simple, sans le soutien de sa famille et «des gens», elle aurait «lâché l'affaire».

Elle est plutôt très dans les clous, notre rejetonne d'un responsable de dépôt d'une société de transit maritime et d'une auxiliaire de vie. Ils lui ont donné, ainsi qu'à sa soeur aînée et à son frère cadet, une éducation «assez stricte, sans être hypersévère», elle s'en félicite : «On nous a transmis des valeurs, comme le respect des gens, la politesse.» A 18 ans, bac littéraire en poche, elle est partie faire fille au pair dans le Connecticut, elle a trouvé les enfants de la première famille «beaucoup trop gâtés». Ne pas en avoir elle-même un jour lui est «inconcevable», et si elle se dit pour l'heure célibataire (des potins la lient un certain Jean-Louis, policier à la Réunion), elle sait les qualités que son homme devra avoir : «De l'humour, l'envie de bouger, et, sans virer macho, être mentalement solide, rassurant.» Elle estime qu'on devrait être «beaucoup plus fiers d'être français», regrette que la Marseillaise soit sifflée, «l'hymne d'un pays, c'est sacré, tout de même».«Au fond, je suis assez traditionnelle» est une analyse qui se tient.

Ajoutons que, hormis le rallye-cross, autre «révélation» de l'année, qui donne des envies de compétition à cette non-sportive mais grande gourmande («morfale»), Valérie Bègue n'a avoué, lors notre interrogatoire serré, aucune pratique licencieuse. Elle est «fêtarde, mais plutôt entre amis que dans le monde de la nuit», lit Paulo Coelho et des ouvrages sur le bouddhisme : cette «philosophie de vie» l'aide notamment à «dédramatiser». Adolescente, elle était «assez angoissée», ellereste superstitieuse (une méfiance pour les chiffres impairs). Elle vote mais ne dira pas pour qui, reconnaît juste à Ségolène Royal «du mérite et du courage. Elle perd mais elle revient, elle a des convictions». Il y a aussi du phénix souriant chez Valérie Bègue. Elle élude la comparaison élogieuse d'un : «Je tâche de voir les choses du bon côté.» Elle voudrait maintenant être reconnue pour «un art, un travail, une utilité», consciente que «miss, c'est tellement futile, au fond».

Et si, obnubilée par sa fatwa, Geneviève de Fontenay avait loupé le coche ? Ravissante, modeste, patriote, issue du multiculturalisme, avenante comme apte à la langue de bois : vue d'ici, Valérie Bègue remplit parfaitement le cahier des charges d'une miss. Une miss au poil, en somme.

Photo Olivier Roller

Valérie Bègue en 7 dates26 septembre 1985. Naissance à Saint-Pierre, sur l’île de la Réunion.16 août 2007. Elue Miss Réunion.8 décembre 2007. Elue Miss France 2008.21 décembre 2007. Entrevue publie de photos où elle apparaît crucifiée, ou lapant du lait.28 décembre 2007. Conférence de presse qui la prive des concours de Miss Monde et Miss Univers.Année 2008. Geneviève de Fontenay la conspue.Décembre 2008. Entame sa reconversion post-Miss France.

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