"Compléter les pièces du puzzle" : rencontre avec les policiers qui enquêtent sur les "cold cases"

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"Compléter les pièces du puzzle" : rencontre avec les policiers qui enquêtent sur les "cold cases"

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L'OCRVP appartient à la Direction centrale de la police judiciaire
L'OCRVP appartient à la Direction centrale de la police judiciaire
© Maxppp

LE FEUILLETON DU 13/14  - Le ministère de la Justice avait identifié, en janvier 2022, près de 250 affaires non élucidées, ou " cold cases ". Une partie de ces dossiers est confiée à l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP).

Ce sont des dossiers qui hantent les familles, mais aussi, souvent, les enquêteurs : une disparition inexpliquée, un meurtre sans coupable... Des affaires complexes qui nécessitent souvent un œil neuf, dont une partie est confiée aux enquêteurs de l'Office central pour la répression des violences aux personnes, qui dépend de la Direction centrale de la police judiciaire. Le 1er mars 2022, un pôle judiciaire national entièrement dédié à ces "cold cases" a été installé à Nanterre. À ce stade, l'OCRVP a recensé une centaine de dossiers qui pourraient être confiés à cette nouvelle entité.

Épisode 1 – Reprendre les vieux dossiers : " Il faut se reposer les mêmes questions autant de fois que nécessaire "

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Sur les 80 enquêteurs que compte l'OCRVP, 60 sont chargés de travailler sur ces affaires non résolues, parfois en co-saisine avec le service territorial compétent. La plus vieille de ces affaires date de 1979, " mais la moyenne est plutôt autour de 15 ans, 20 ans d'âge ", détaille le commissaire divisionnaire Franck Dannerolle, à la tête de l'OCRVP. "C'est une course d'endurance, une nécessité de se poser les bonnes questions, savoir si on a exploré toutes les pistes : un voisin qu'on n'a pas entendu, une caméra qu'on n'a pas complètement explorée..." poursuit le chef de l'Office, qui voit dans ces enquêtes "un travail qui nécessite de compléter les pièces du puzzle. Quand nous sommes vraiment dans le cœur du cold case, il reste quelques pièces qui manquent. Pour arriver à les trouver, il faut se reposer les mêmes questions autant de fois que nécessaire, jusqu'à ce qu'on ait la réponse".

Le capitaine Julien, dont le groupe traite actuellement 28 affaires non résolues, abonde : "C'est un vrai travail de fourmi (…) la lecture d'un dossier prend généralement plusieurs mois". D'autant que les évolutions scientifiques nécessitent de revoir toutes les pistes inexplorées dans le passé, faute de techniques adaptées. "On met du cœur à l'ouvrage dans nos investigations parce qu'on sait que, derrière, il y a des victimes et des familles de victimes qui attendent le résultat depuis de très nombreuses années".

Episode 1, à écouter ici :

3 min

Épisode 2 - L'affaire Lucas Tronche : " On leur a apporté la réponse, ils vont pouvoir faire leur deuil et enterrer leur fils "

Flavien, du groupe des enquêtes des disparitions criminelles, a participé à l'élucidation du mystère de la disparition de Lucas Tronche, en 2015, près de Bagnols-sur-Cèze, dans le Gard. Le corps de l'adolescent de 15 ans a été retrouvé en juin 2021, au pied d'une falaise.

L'enquêteur recense quatre causes à une disparition : la fugue, l'accident, le suicide avec la volonté que son corps ne soit pas retrouvé, et le crime. " Sur Lucas, nous n'arrivions pas à écarter la piste criminelle", explique Flavien, qui rappelle que son groupe a notamment cherché un rôdeur, exploitant des images de vidéosurveillance, et en repassant au crible tous les témoignages. "Et ça n'aboutissait pas ".

Le téléphone de l'adolescent a continué à émettre quelques jours après sa disparition, ce qui a permis aux enquêteurs de délimiter une zone où il était susceptible de se trouver. Les policiers ont alors sollicité l'aide de chasseurs : "Nous sommes partis du postulat que c'était une chute d'un point haut, dans une zone très escarpée et inaccessible. Ils nous ont ciblé trois zones". L'intervention des pompiers du Grimp permet de trouver le corps de Lucas Tronche. "C'est beaucoup d'émotions ", se souvient Flavien, qui a noué un lien avec la famille de l'adolescent. "Nous leur avons apporté la réponse, ils vont pouvoir faire leur deuil et enterrer leur fils, c'est quelque chose qui est vraiment très important (...) Ce sont des enquêtes qui ne sont pas faciles, quand on trouve, on sait pourquoi on fait ça".

Episode 2, à écouter ici :

3 min

Le corps de Lucas Tronche a été retrouvé dans une zone reculée, six ans après sa disparition
Le corps de Lucas Tronche a été retrouvé dans une zone reculée, six ans après sa disparition
© Maxppp - Mikael Anisset

Épisode 3 – D'autres crimes ont-ils pu être commis ? Le parcours criminel d'individus "déjà condamnés" ou "contre lesquels il existe des raisons de penser qu'ils ont commis d'autres faits "

La création du nouveau pôle judiciaire dédié aux cold cases et les textes législatives qui l'encadrent permet désormais aux enquêteurs de l'OCRVP de retracer le " parcours criminel " d'un individu pour essayer de déterminer si d'autres faits peuvent lui être imputés, et non plus travailler uniquement sur le crime lui-même. "Ce sont des individus qui ont déjà été condamnés pour des faits criminels graves, ou contre lesquels il existe des raisons de penser qu'ils ont commis d'autres faits", détaille Virginie, cheffe de groupe à l'OCRVP. Notamment des prédateurs sexuels ou tueurs en série tels que Guy Georges ou Michel Fourniret. "Nous avons vraiment un rôle de centralisation de ces parcours criminels pour essayer de résoudre toutes ces enquêtes, qui ne laissent jamais indifférent un enquêteur qui a travaillé sur ces dossiers. Je pense que l'on s'en souvient toute sa carrière ", juge la policière, qui a elle-même rencontré plusieurs de ces suspects.

Episode 3, à écouter ici :

4 min

Épisode 4 – La psychologie : dresser le profil de l'auteur à travers les récits et la scène de crime

Les groupes d'enquête de l'OCRVP bénéficient de l'appui de trois psychologues, qui les aident à établir le profil des auteurs de crimes, et assistent également aux auditions de suspects, de victimes et de témoins. Le récit d'une victime permet, par exemple, d'établir le profil d'un auteur, à travers "les paroles qui vont accompagner les gestes, le niveau d'agressivité ", explique Christophe Baroche, l'un de ces trois psychologues. Cela permet aux enquêteurs de "faire un premier tri " s'ils ont déjà une liste de suspects. Dans le cas d'un homicide, les psychologues tentent de dresser ce portrait à l'aide de la scène de crime : "Est ce que la victime a été surprise, est-ce qu'elle a été surprise à domicile, est-ce qu'elle a ouvert spontanément la porte, est-ce qu'il y a effraction ? Tout cela donne des indications sur le mode d'attaque de l'auteur", poursuit le psychologue, qui a notamment contribué aux aveux de l'auteur, dans l'affaire Stéphane Dieterich, jeune homme de 24 ans tué près de Belfort en 1994. Interpellé en 2015, l'un de ses proches a été condamné, en 2019 à vingt ans de réclusion.

Episode 4, à écouter ici :

4 min

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