Des orchestres dans les camps de concentration nazis

L'orchestre des détenus du camp d'Auschwitz 1, 1941
L'orchestre des détenus du camp d'Auschwitz 1, 1941
La musique dans les camps nazis : les orchestres 2/2
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Des orchestres dans les camps de concentration nazis

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À Auschwitz, à Buchenwald ou encore à Janowska, des déportés étaient obligés de jouer de la musique : des marches militaires mais aussi des classiques, de la polka, et même des opéras. Ces musiciens faisaient partie des orchestres de camp.

Il existe quelques photographies prises à Auschwitz : on y voit des violonistes, des trompettistes, un accordéoniste... Un véritable orchestre devant des baraquements. De la musique là où on a peine à imaginer qu’elle puisse résonner. « Dans certains camps, la musique était très présente parce que le commandant était très mélomane, explique Elise Petit, musicologue et commissaire de l’exposition  La musique dans les camps nazisDonc il avait décidé qu'il lui fallait un orchestre de grande qualité. Il était prêt à mettre les moyens, notamment pour se procurer des partitions ».

Des orchestres sont constitués dès 1933, dans les premiers camps de concentration. Les musiciens sont d’abord des opposants politiques puis, quand les déportations deviennent massives, les musiciens juifs deviennent majoritaires. A Auschwitz 1 en 1942, l’orchestre compte 120 musiciens.

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Une contrebasse fabriquée dans un camp

A l’arrivée des convois, les Nazis font passer une audition informelle aux déportés qui se sont déclarés musiciens : si leur niveau est jugé satisfaisant, ils intègrent ces orchestres. Se pose alors le problème de l’instrument : où s’en procurer ? Des musiciens déportés ont transporté le leur avec eux : « Dans ces cas-là, les instruments sont pris à l’arrivée et mis dans une pièce de réserve qui s'appelle la Effektenkammer, développe Elise Petit. Ils peuvent être rendus aux musiciens s'ils sont intégrés à l'orchestre ».

Mais si les musiciens n’ont pas d’instruments, ils doivent trouver une solution. Une autorisation exceptionnelle peut être accordée afin qu’ils demandent à leur famille de les leur envoyer. Et puis, des instruments sont aussi fabriqués sur place, à l'intérieur même du camp. Quelques-uns ont été conservés, comme la contrebasse de Mauthausen. « On a retrouvé au moment de sa restauration, à l’intérieur, une inscription qui disait que le premier coup de scie avait été donné en 1942 par un déporté dont la profession n’était absolument pas d’être luthier », explique Elise Petit. L’instrument est fabriqué avec les matériaux disponibles : du bois récupéré à l’atelier de menuiserie du camp. Quant à la touche, qui devrait être en ébène, elle est faite en bois teintée en noir.

La contrebasse de Mathausen exposée au Mémorial de la Shoah.
La contrebasse de Mathausen exposée au Mémorial de la Shoah.
- @Mémorial de la Shoah

Jouer de la polka en uniforme

Hermann Fuchs, Erich Apfel, Jurek Lokay... Ces noms apparaissent dans la liste des musiciens de l’orchestre d’Auschwitz en 1944. Cet orchestre, comme ceux de Buchenwald ou de Mauthausen, avait plusieurs rôles : le principal était de rythmer le quotidien. « Quand ils sont près de la porte des camps, décrit Elise Petit, ces orchestres jouent de la musique militaire ou traditionnelle. Une musique très marquée, qui doit être binaire parce qu’il faut marcher gauche-droite ». Ils jouent alors pour le départ et le retour du travail forcé.

Le deuxième rôle de l’orchestre est de jouer pour le commandant et pour les invités officiels. Avoir son propre orchestre de camp, le montrer, le faire jouer devant des hauts dignitaires, est un gage de prestige pour ces commandants. D’ailleurs une véritable concurrence s’installe entre eux. Certains vont même jusqu’à doter « leurs » musiciens d’uniformes. A Buchenwald, les musiciens portent un uniforme volé à la garde royale yougoslave.

Pour ces concerts récréatifs, des œuvres comme celles de Johann Strauss ou des airs de polka sont interprétés. Mais des répertoires sont absolument interdits : jamais Mozart ou Wagner ne résonnent dans les camps. « Le répertoire germanique, notamment Wagner, était interdit aux Juifs parce que pour les Nazis, c’était comme s’ils souillaient la grande musique », rappelle Elise Petit.

Le statut de musicien aide à survivre

Enfin les musiciens sont aussi forcés d’accompagner les exécutions. Mais les rescapés ont toujours tenu à le souligner : ils n’ont jamais joué pour les sélections ou pour les départs à la chambre à gaz. « Des orchestres ont été postés parfois à l’arrivée de certains convois de centres de mise à mort, explique Elise Petit, pour masquer les cris des victimes qui étaient, elles, déjà arrivées à la chambre à gaz. Ils devaient jouer pour éviter des mouvements de panique. »

Comme les autres détenus, les musiciens sont les victimes de la barbarie nazie. La mortalité est très élevée, ce qui explique un renouvellement constant des orchestres. Mais, dans certains camps, leur statut aide à survivre. « Je me rends compte au fil des recherches, analyse Elise Petit, que plus le commandant du camp était mélomane et plus on pouvait survivre en étant musicien d'un orchestre. Parce que cela veut dire que le chef ou la cheffe de l'orchestre pouvait négocier avec les autorités du camp pour avoir quelques privilèges. » Un baraquement pour l’orchestre, l’accès à une douche, la garantie de ne pas se faire voler de nourriture... Des « privilèges » vitaux pour survivre à des conditions inhumaines. Mais après février 1945, face à l’avancement des troupes alliées et l’imminence de la défaite allemande, les meurtres de masse s’accélèrent et les orchestres sont dissous.

A voir. L’exposition “La musique dans les camps nazis”, au Mémorial de la Shoah jusqu’au 25 février 2024.

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